Une surdité professionnelle ça peut apparaître à tout âge!

Un texte de Natalie Monet

Je travaillais, de 1995 à 2008, dans un musée comme technicienne en muséologie. C’est un milieu qui n’est pas reconnu pour avoir des charges très lourdes à lever, ni des expositions à des bruits au-delà de la limite acceptable. Pourtant, il y a un atelier de menuiserie complet avec plus d’une dizaine d’outils de qualité industrielle. Parmi les tâches, la fabrication de caisses pour le transport d’œuvres d’art sur mesure en faisait partie. Portant, aucune protection auditive n’était suggérée.

C’est parce que je demandais souvent à des amis de répéter au téléphone et parce que je perdais les nuances d’une conversation dans un espace dans lequel il y a du monde, que j’ai passé un test auditif et rencontré un ORL en 2021. J’avais aussi du mal à m’endormir avec les acouphènes. D’après le médecin, j’avais un début de surdité bilatérale, ce qui était précoce pour une personne de 61 ans. Il m’a très vite demandé quel emploi j’avais occupé. Il m’a ensuite fait remplir un formulaire CNÉSST, parce qu’il estimait que mon atteinte auditive était en lien avec l’exposition au bruit au travail. La CNÉSST a toutefois opposé un refus catégorique à ma réclamation, rejetant mes arguments sur le bruit auquel j’avais été exposée dans l’atelier de menuiserie.

Au Québec, nous sommes les tristes gagnants du diagnostic de surdité professionnelle. Plus de 10 000 cas sont reconnus par année, un nombre qui augmente constamment. Nous sommes bien en retard sur les législations qui ont opté pour des limites d’exposition au bruit plus rigoureuses, mises en place il y a des décennies. C’est une maladie professionnelle assez facilement reconnue dans les milieux industriels, mais pas dans les musées.

Mon travail, pendant 14 ans, consistait à déplacer des artéfacts et construire des supports d’entreposage et de voyage pour les expositions itinérantes. J’avais donc à travailler entourée d’outils, 2 heures par jour, mais sans aucune protection auditive, ce qui est aberrant, lorsqu’on se rend compte que ces outils émettent des sons importants et que l’incidence du bruit devient exponentielle, lorsque plusieurs outils sont en fonction dans le même atelier. Nous étions 4 techniciens permanents et 1 à 2 contractuels dans ce musée. Il était fréquent de se retrouver 3 personnes à utiliser des outils différents en même temps. Par exemple, une scie à ruban, un marteau pneumatique et un banc de scie avec un dépoussiéreur.

Honnêtement, je ne savais pas dans quoi je m’embarquais, quand j’ai commencé à me documenter en vue de contester la décision de la CNÉSST. C’est en trouvant des normes appliquées ici et à l’international que j’ai compris que chacun de ces outils émet des décibels trop importants pour ce que l’oreille humaine peut supporter en étant exposée quotidiennement pendant 14 ans sans protection. Lorsque j’ai déniché les fiches techniques sur chacun des outils présents dans l’atelier de menuiserie, je me suis rendu compte que les fournisseurs ne veulent même plus indiquer le nombre de décibels produits, tellement les normes actuelles pourraient contrecarrer les ventes!

J’ai, avec l’aide de l’uttam, décidé de me battre, après avoir reçu le refus de ma contestation,  et donc de me mettre en route vers le TAT! Mon dossier a traîné très longtemps, puisque je n’ai eu mon audience au TAT qu’en mars 2024. L’uttam m’avait préparé un document très ordonné et complet pour ma comparution et, moi, j’apportais mes éléments de preuve.

J’avais les différentes normes d’audition appliquées dans certains pays, la somme des outils utilisés, deux tests d’audiologie avec un rapport médical, qui démontrait que l’atteinte était bien professionnelle, puisqu’ il n’y avait pas d’évolution depuis que je n’étais plus exposée à ces bruits, ainsi qu’une prescription pour des appareils auditifs.

L’ancien employeur avait envoyé un avocat de sa mutuelle autant lors du refus de la CNÉSST que lors de la tentative de conciliation. L’avocat ne s’est pas présenté lors de la tentative de conciliation ni au TAT, toutefois il était toujours au dossier, alors le stress d’avoir un adversaire lié à mon ancien employeur était là, jusqu’à ma comparution. Lors de l’audience, j’ai demandé au juge si 2 amis pouvaient être présents dans la salle. C’était réellement pour me donner du courage. Le juge m’a posé des questions pendant plus d’une heure quinze et, par chance, il y avait une petite pause au milieu de l’audience. J’ai dû faire la démonstration du travail en atelier, mais surtout de mon emploi du temps dans une journée type. J’ai argumenté à propos de l’effet répétitif de cette exposition aux bruits.

J’ai été soulagée lorsque j’ai reçu, deux mois plus tard, la décision d’acceptation de ma surdité professionnelle liée à une exposition démesurée aux bruits sans protection auditive. Mon atteinte n’était pas assez sévère pour avoir un dédommagement, mais les prothèses auditives font partie de ce que la CNÉSST doit maintenant couvrir à vie.

Je porte depuis 15 jours des appareils auditifs et ça m’aide vraiment! Pour tout dire, si l’ORL, depuis le début, n’avait pas été certain d’une atteinte liée au travail et que l’uttam ne m’avait pas soutenue dans cette croisade, je n’aurais pas les prothèses auditives que j’ai aujourd’hui qui coûtent un prix exorbitant!

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