La conciliation au Tribunal administratif du travail, division de la santé et de la sécurité du travail

Une démarche pour favoriser les règlements à l’amiable

Me Vincent Cardinal

Les articles 21 à 25 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail (LITAT) prévoit la conciliation, soit un mode alternatif de règlement des litiges. Une telle procédure est libre et volontaire. Ainsi, une travailleuse ou un travailleur peut refuser cette démarche. Le dossier sera alors transmis au rôle pour qu’une audience soit fixée dans les plus brefs délais.

Lors de la démarche de conciliation, le Tribunal administratif du travail (TAT) nomme une conciliatrice ou un conciliateur qui sera l’intermédiaire entre les parties. Il est important de mentionner que la conciliatrice ou le conciliateur sera impartial.e, c’est-à-dire qu’elle ou il n’agit point à titre de représentant pour une partie ni dans son intérêt. Elle ou il doit donc rester neutre en tout temps.

La conciliatrice ou le conciliateur débute généralement la démarche en contactant les parties pour leur demander si elles ont une offre à soumettre à l’autre partie. Une fois qu’une offre est soumise, la conciliatrice ou le conciliateur la fera suivre à l’autre partie. Elle ou il fera suivre les contre-offres jusqu’à ce qu’il y ait une entente de principe entre les parties ou qu’il constate l’impossibilité de s’entendre. La conciliatrice ou le conciliateur peut également proposer une séance de conciliation, par téléphone, par visioconférence ou dans les locaux du Tribunal, où il animera un échange entre les parties, qui peuvent être regroupées ou séparées, et ce, dans le but de trouver un règlement à l’amiable.

Il est important de noter que l’ensemble de la démarche de conciliation est confidentiel. Ainsi, toute preuve communiquée à la conciliatrice ou au conciliateur ne pourra être invoquée en audience. Qui plus est, la conciliatrice ou le conciliateur ne pourra être amené à témoigner sur ce qui lui a été révélé par les parties ou par rapport à tout constat qu’il pourrait avoir fait lors de la démarche.

Un règlement à l’amiable peut mener à trois finalités ; un désistement, un accord ou une transaction.

Désistement

La première éventualité en conciliation est un désistement par une partie de sa ou de ses contestations auprès du TAT. Bref, il arrive qu’une partie puisse tout simplement retirer ses contestations après avoir pris connaissance des arguments de la partie adverse en conciliation. Les parties peuvent également convenir de désistements mutuels, c’est-à-dire que chacune retire leurs contestations auprès du TAT. Une partie pourrait aussi décider de se désister dans un recours soumis à une autre instance, par exemple d’une plainte pour harcèlement psychologique.

Accord

La deuxième possibilité en conciliation est l’obtention d’un accord. L’article 23 de la LITAT permet à un juge d’entériner un accord constaté par écrit. Un accord survient lorsque les parties s’entendent sur les faits en litige et sur les conclusions juridiques. Lorsque les parties s’entendent sur les conclusions désirées, un accord sert à confirmer, modifier ou infirmer une décision rendue par la CNESST. Une fois que les parties s’entendent, la conciliatrice ou le conciliateur rédigera un document intitulé ‘accord’ qui résumera l’objet des contestations, les faits sur lesquels les parties s’entendent ainsi que les conclusions de l’entente. Par ailleurs, si la CNESST intervient dans le dossier, il est nécessaire d’obtenir son consentement à l’entente.

Une fois l’accord signé par l’ensemble des parties ainsi que par la conciliatrice ou le conciliateur, le document sera soumis à une juge administrative ou un juge administratif du TAT qui devra analyser sa légalité. Si l’accord est conforme à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), la ou le juge doit l’entériner. L’accord entériné constituera alors une décision du TAT, ce qui met fin au litige.

Il est important de souligner qu’un accord entériné par un juge ne peut être utilisé comme jurisprudence.

Transaction

La troisième possibilité en conciliation est une transaction, soit un contrat entre les parties pour régler les litiges sur lesquels le TAT ne peut statuer. Les règles concernant les transactions sont régies par le Code civil du Québec. Une transaction est un document qui prévoit des obligations pour une ou pour chacune des parties. Ce document sera aussi préparé par la conciliatrice ou par le conciliateur qui la fera suivre aux parties. Advenant qu’une partie ne respecte pas les obligations contenues dans la transaction, l’autre partie devra s’adresser à une cour de justice pour faire valoir ses droits.

Contrairement à un accord, la transaction ne constitue pas une décision du TAT. Ce document est seulement signé par les parties et est confidentiel. La transaction ne sera pas déposée dans le dossier du Tribunal. Ainsi, il est très important pour la partie de la conserver lors de sa réception.

Une transaction est souvent accompagnée d’un accord, de désistements ou des deux. Par exemple, une transaction peut prévoir qu’une partie paie une somme forfaitaire à l’autre en échange de désistements. Un accord est souvent accompagné d’une transaction pour régler les enjeux sur lesquels le TAT ne peut statuer. Par exemple, les parties pourraient s’entendre sur l’admissibilité d’une lésion professionnelle et sur une fin du lien d’emploi. L’accord traitera donc de l’admissibilité de la lésion, tandis que la transaction traitera de la fin du lien d’emploi.

Mise en garde

Bien que la conciliation au TAT soit une démarche pouvant mener à des résultats très intéressants, notamment en raison de sa garantie de résultat, contrairement aux contestations traitées en audience, le justiciable doit tout de même rester très vigilant. Il doit non seulement bien connaître son dossier, mais aussi les conséquences légales de l’entente. En effet, la réception d’une somme d’argent en échange de désistements peut sembler une option fort alléchante. Or, le régime d’indemnisation de la LATMP est souvent plus généreux que les offres proposées. Par exemple, l’acceptation d’une somme d’argent équivalente ou supérieure à l’indemnité pour préjudice corporel désirée semble, à première vue, une résolution intéressante. Or, une telle entente pourrait nuire à la travailleuse ou au travailleur dans le futur, notamment s’il y a une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation de la lésion initiale.

Lorsque la CNESST intervient dans les dossiers, cette dernière tente fréquemment de réduire les droits des travailleuses et travailleurs. Par exemple, pour accepter une lésion professionnelle initialement refusée, la CNESST exige souvent par le biais d’une transaction une consolidation de la lésion ainsi qu’une décision sur la capacité à l’emploi prélésionnel ou à l’emploi convenable. Ainsi, les travailleuses et travailleurs se voient priver des traitements dont ils auraient pu bénéficier advenant l’acceptation de la réclamation dès la première décision.

Nous invitons les travailleuses et travailleurs à faire preuve d’une grande prudence lorsqu’une offre leur est soumise oralement par la partie adverse ou même par la conciliatrice ou le conciliateur. En effet, l’acceptation de l’offre oralement peut entraîner des conséquences juridiques même si aucun document n’a été signé. Advenant qu’une travailleuse ou un travailleur refuse de signer le document relatif à l’entente après avoir accepté l’offre verbalement, l’autre partie pourrait demander au TAT son homologation, soit de lui donner la force d’une décision exécutoire. Pour cette raison, nous recommandons fortement de demander une copie à l’écrit des termes de l’offre avant de l’accepter. De cette manière, il sera possible de prendre le temps de réfléchir aux conséquences juridiques de ladite entente avant d’accepter. Nous suggérons également de répondre à l’offre par écrit, afin de conserver une preuve du refus ou de l’acceptation.

Réforme de janvier 2023

En raison de l’augmentation du volume des contestations ainsi que des délais qui en découlent, le TAT a développé un nouveau système de traitements des dossiers. Dorénavant, les dossiers au TAT sont transférés au service de conciliation avant qu’une date d’audience soit fixée. Les parties disposent alors de 60 jours pour accepter la démarche de conciliation. Si l’ensemble des parties acceptent la démarche, elles bénéficieront alors de 120 jours (incluant les 60 premiers jours) pour conclure une entente. Si l’une des parties refuse la conciliation ou ne répond pas dans le délai de 60 jours, le dossier sera transféré au rôle pour qu’une audience soit fixée.

Nous comprenons très bien l’objectif du TAT pour cette réforme, soit d’éviter de fixer inutilement des dates d’audience. En effet, seulement 16% des audiences qui sont fixées ont lieu. Or, nous constatons dans la pratique que bien des travailleuses et travailleurs vivent beaucoup d’anxiété lorsque le délai de conciliation est échu. Ceux-ci croient erronément qu’il n’y a plus de possibilités de règlement à l’amiable une fois la démarche de conciliation terminée. Il est donc bien important de savoir qu’il est encore possible aux parties de s’entendre même lorsqu’une audience est fixée. À ce moment, les parties doivent demander au TAT un retour en conciliation. La juge administrative ou le juge administratif doivent alors autoriser le retour en conciliation. Par expérience, une telle demande n’est jamais refusée s’il y a une entente de principe et que la conciliatrice ou le conciliateur est d’avis que ladite entente peut être concrétisée.

Conclusion

La conciliation est un service très intéressant offert par le TAT. Il peut souvent mener à des ententes dites « gagnant-gagnant », soit où chacune des parties y trouve son intérêt. Toutefois, les travailleuses et travailleurs doivent rester très vigilants, car le stress induit par une audience à venir dans un délai rapproché peut souvent nuire au jugement. Il est donc, à notre sens, déconseillé d’accepter une offre déposée quelques jours avant l’audience qui aurait comme conséquence de réduire les bénéfices prévus par le régime d’indemnisation de la LATMP, et ce, sans avoir reçu des conseils juridiques appropriés.

Scroll to Top