Hausse de l’âge de la retraite anticipée : le ministre recule

Félix Lapan

En décembre dernier, le ministre des Finances Éric Girard annonçait la tenue d’une consultation publique sur le Régime de rentes du Québec (RRQ).  Cet exercice a pris la forme d’une consultation particulière de trois jours devant la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale, les 8, 9 et 14 février dernier.  La proposition phare sur laquelle les groupes participants à la consultation étaient invités à se prononcer concernait une hausse de l’âge minimal d’admissibilité à la rente de retraite que le gouvernement envisage de faire passer de 60 à 62 ans.  Le ministre a trouvé bien peu d’appui pour cette proposition.

Une telle consultation sur le RRQ doit avoir lieu chaque six ans.  La dernière, tenue en 2017, a mené à l’adoption d’un projet de loi pour créer un régime supplémentaire permettant de faire progressivement passer la rente de retraite d’un équivalent de 25 % des gains moyens de carrière à 33,3 %.

L’uttam a participé à chacune des consultations tenues depuis plus de deux décennies à l’Assemblée nationale.  Malheureusement, pour la première fois en plus de vingt ans, notre organisation a été exclue de cette consultation publique, bien que nous ayons explicitement demandé à être entendus et que les partis d’opposition aient plaidé pour que nous soyons invités.

En dépit de cette exclusion, nous avons rédigé un mémoire à l’occasion de cette consultation.  Si nous n’avons pas pu le présenter devant les parlementaires, ce mémoire a tout de même été déposé à la Commission des finances publiques.  Nous y avons notamment fait valoir notre opposition à la proposition gouvernementale de relever l’âge d’admissibilité à la retraite anticipée.  Nous avons aussi dénoncé l’injustice que subissent les victimes de lésions professionnelles à la retraite tout en expliquant notre revendication pour y remédier.

La proposition de relever l’âge minimal d’admissibilité à une rente de retraite anticipée

Rappelons que si l’âge normal de la retraite est de 65 ans, le RRQ permet actuellement aux travailleuses et travailleurs de commencer à percevoir leur rente de retraite dès l’âge de 60 ans.  La rente est toutefois réduite de 0,6 % par mois qui précède l’âge de 65 ans.  Ainsi, une personne qui prend sa rente de retraite à l’âge de 60 ans subit une pénalité de 36 %.  Comme la rente est versée jusqu’à la mort de la personne retraitée, la réduction est censée être compensée par le fait que la rente sera versée plus longtemps.

Sous prétexte de prévenir la pauvreté à la retraite, la proposition gouvernementale prévoyait d’interdire de toucher une rente de retraite avant l’âge de 62 ans.  Armé de savants calculs d’actuaires fondés sur l’espérance de vie, le ministre Girard prétendait en effet que de toucher sa rente de retraite avant cet âge s’avère presque toujours un mauvais choix.  En interdisant aux travailleuses et aux travailleurs de toucher leur rente de retraite à 60 ou 61 ans, la pénalité maximale pour une rente anticipée serait alors passée à 21,6 % pour une rente prise à 62 ans (36 mois avant 65 ans) plutôt que 36 % pour une rente prise à 60 ans (60 mois avant 65 ans).  Le gouvernement prétendait donc protéger les travailleuses et travailleurs contre eux-mêmes et en les empêchant de prendre une mauvaise décision…

L’angle mort du gouvernement : la pénibilité du travail

Presque tous les groupes entendus lors de la consultation se sont opposés à cette proposition.  Plusieurs intervenants ont rappelé au ministre que bien des travailleuses et travailleurs qui occupent des emplois pénibles sont complètement usés par le travail quand ils atteignent 60 ans et ne sont simplement plus en mesure de continuer à travailler.

C’est aussi la position qu’a prise l’uttam dans son mémoire.  Empêcher l’accès à la rente de retraite avant 62 ans nous apparaissait d’autant plus inacceptable en l’absence de mesures pour prendre en compte la pénibilité de plusieurs emplois, comme le font d’autres régimes publics de retraite ailleurs dans le monde.

Malgré la quasi-unanimité des intervenants entendus lors de la consultation et des mémoires déposés s’opposant au relèvement de l’âge minimal d’admissibilité à la rente de retraite, le ministre s’est tout de même obstiné à défendre sa proposition pendant quelques jours.  Face aux dénonciations publiques qui se sont poursuivies après la consultation, il a cependant fini par reculer vers la fin de février.  Pour l’instant, le gouvernement semble donc avoir abandonné l’idée d’hausser l’âge minimal de la retraite.

Les victimes d’accidents et de maladies du travail toujours pénalisées à la retraite

Si on peut se réjouir du recul du ministre sur sa proposition principale, on ne peut en dire autant sur l’enjeu de l’appauvrissement des victimes du travail à la retraite.

Rappelons que les victimes d’accidents et de maladies du travail vivent une grave injustice au moment de prendre leur retraite en raison du non-versement de leur cotisation au Régime de rentes durant un arrêt de travail.  La CNÉSST retranche pourtant les cotisations qui seraient normalement versées au RRQ pour déterminer l’indemnité de remplacement du revenu, mais pour Retraite Québec ces périodes sont considérées comme cotisées à 0 $.  Au moment de la retraite, les périodes non travaillées, en raison d’une lésion professionnelle, peuvent avoir un impact important sur le montant de la rente de retraite puisque cette rente est basée sur les gains moyens en carrière.

Notons que certaines mesures permettent d’atténuer partiellement l’impact de la non-cotisation pendant un arrêt de travail, notamment en retranchant des périodes d’invalidité ou de faibles gains pour établir la moyenne des gains servant de base au calcul de la rente de retraite.  Mais ces dispositions ne corrigent pas tout et les victimes d’accidents et de maladies du travail s’appauvrissent tout de même à la retraite.  L’impact exact varie selon les situations et les personnes pour qui la CNÉSST a déterminé un emploi convenable, dont le revenu est inférieur à leur emploi pré-lésionnel, sont les plus pénalisées.  Depuis la création du régime supplémentaire pour faire passer la rente de 25 % à 33,3 % de la moyenne des gains à la suite de la réforme adoptée en 2017, cette injustice s’est aggravée puisque ces mesures de retranchement ne s’appliquent pas à ce nouveau régime.

Des « crédits de gain » pour compenser?

Soulignons tout de même une proposition du document de consultation gouvernementale qui, bien qu’insuffisante, pourrait améliorer les choses pour les victimes de lésions professionnelles si elle était adoptée lors d’une réforme à venir.  Le document de consultation proposait en effet de créer des « crédits de gain » qui permettraient d’appliquer les mesures de compensation qui existent dans le régime de base au régime supplémentaire.

Pour les victimes de lésions professionnelles cela pourrait au moins permettre de corriger l’aggravation de l’injustice qui résulte de la mise sur pied du régime supplémentaire, bien qu’il y ait un certain flou sur la méthode de calcul de ces « crédits de gain » proposés.

La lutte devra se poursuivre

Le mémoire de l’uttam dénonçait évidemment l’injustice que subissent les travailleuses et travailleurs accidentés ou malades à la retraite et demandait que la CNÉSST verse les cotisations des victimes de lésions professionnelles au RRQ, comme nous le revendiquons depuis des années.  Malheureusement, bien que notre mémoire ait été déposé à la commission parlementaire, notre exclusion de la consultation a permis de passer cette question complètement sous silence.

L’uttam ne baissera pas les bras pour autant.  Nous surveillerons quelle suite le gouvernement compte donner à la consultation et, si un projet de loi réformant le RRQ devait être présenté, nous l’analyserons et tenterons de faire entendre nos revendications.  Reste à voir si la rebuffade subie par le ministre Girard le découragera de réformer le RRQ…

Scroll to Top