La réforme adoptée en octobre 2021 prévoit différents moments d’entrée en vigueur pour les modifications qu’elle apporte à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Le 6 avril 2023, une série de dispositions qui modifient le processus de contestation des décisions entrent ainsi en vigueur. À compter de cette date, il deviendra notamment possible de contester certaines décisions de la CNÉSST directement au Tribunal sans que la révision administrative ne se soit prononcée. Le délai pour contester une décision au Tribunal sera en outre légèrement allongé. D’autres dispositions entreront aussi en vigueur à ce moment. Dans cet article, nous examinerons ces changements.
Soixante jours pour contester au Tribunal
Soulignons pour commencer que le processus pour demander la révision d’une décision rendue par la première instance de la CNÉSST demeure inchangé : il sera toujours nécessaire de demander la révision d’une décision avec laquelle on est en désaccord dans un délai de 30 jours. La demande de révision sera traitée par la révision administrative, qui rendra sa décision sans audience, après avoir donné l’occasion aux parties de présenter leurs observations.
Il sera ensuite possible de contester au Tribunal cette décision rendue en révision. Le délai pour contester au Tribunal une décision de la révision administrative, qui est de 45 jours actuellement, sera cependant rallongé à 60 jours. On disposera donc d’un délai de 15 jours additionnels pour contester une décision de la révision administrative de la CNÉSST avec laquelle on est en désaccord.
Contester directement au Tribunal, sans attendre la révision
De nouvelles dispositions qui entrent en vigueur le 6 avril 2023 rendront possible de contester directement au Tribunal certaines décisions de la CNÉSST sans que la révision ne se prononce sur celles-ci.
D’abord, si la révision administrative n’a pas traité une demande de révision dans les 90 jours suivant sa date de réception, la partie ayant fait la demande de révision pourra contester au Tribunal la décision de première instance sur laquelle la révision ne s’est pas prononcée.
Autrement dit, il deviendra possible, à compter du 6 avril 2023, de demander au Tribunal de se saisir d’un litige pour lequel la révision administrative prendrait trop de temps à trancher.
Cette nouvelle possibilité s’appliquera également aux décisions rendues par la CNÉSST à la suite d’un avis du Bureau d’évaluation médicale (BÉM) ou d’un comité chargé de l’évaluation d’une maladie professionnelle pulmonaire ou oncologique. Il sera toujours possible de demander la révision de ces décisions, dans un délai de 30 jours, comme c’est le cas présentement. La révision administrative rendra alors une décision pouvant être contestée au Tribunal. Mais il deviendra aussi possible, à compter du 6 avril prochain, de contester directement au Tribunal ces décisions rendues à la suite d’un processus d’évaluation médicale, dans un délai de 60 jours de la décision.
Confusion assurée : quand le Tribunal renvoie des litiges à la révision
Les choses se compliquent quelque peu dans le cas où une partie conteste une décision de première instance directement au Tribunal alors que la partie adverse produit une demande de révision contre cette même décision. Dans un tel cas, la réforme prévoit que le Tribunal devra retourner le litige à la révision. Une fois que la révision aura rendu sa décision, il deviendra nécessaire de contester à nouveau au Tribunal, en cas de désaccord, dans les 60 jours suivant la décision de la révision.
Si le nouveau processus vise en principe l’accélération du traitement des litiges, en offrant la possibilité de les amener plus rapidement au Tribunal, on peut craindre qu’il génère aussi beaucoup de confusion, avec les risques de pertes de droits que cela implique. Une travailleuse ou un travailleur pourrait, par exemple, contester directement au Tribunal une décision rendue à la suite d’un avis du BÉM ou encore une décision sur un autre sujet plus de 90 jours après en avoir demandé la révision, sans que la révision administrative n’ait tranché. Dans les deux cas, si l’employeur demande la révision de la même décision, le Tribunal devra retourner le litige à la révision administrative. Une fois que celle-ci ce sera prononcée, souvent en se contentant de confirmer la décision initiale, le travailleur devra à nouveau contester au Tribunal dans les 60 jours. S’il omet de le faire, la décision deviendra finale et le travailleur perdra ses droits.
Ce nouveau processus fera donc en sorte qu’un litige pourrait se « promener » de la révision au Tribunal avant de revenir en révision, ce qui risque d’être difficile à suivre pour des travailleuses et travailleurs non-juristes. Dans le cas de litiges multiples dans un dossier, comme c’est souvent le cas à la suite d’une lésion professionnelle, il deviendra particulièrement difficile de suivre et de comprendre devant quelle instance se trouve chaque litige.
On peut craindre que certaines travailleuses et certains travailleurs, croyant avoir déjà produit une contestation au Tribunal sur un litige, ne contestent pas après une décision de la révision administrative confirmant une décision initiale de la CNÉSST. Or, à défaut de produire une contestation dans les 60 jours d’une telle décision de la révision, celle-ci deviendra finale et le Tribunal ne serait jamais ressaisi du litige, malgré une contestation produite antérieurement par la travailleuse ou le travailleur.
Interdiction de demander le recouvrement de prestations reçues de bonne foi
Notons enfin l’entrée en vigueur d’une nouvelle disposition interdisant à la CNÉSST d’exiger le remboursement de toute prestation reçue de bonne foi à la suite d’une reconsidération ou d’une décision de la révision ou du Tribunal, à l’exception des 14 premiers jours payés par l’employeur qu’il faudra toujours rembourser en cas de refus de la réclamation.
Cela signifie que la Commission ne pourra plus exiger le remboursement de traitements ou d’indemnités qu’elle jugerait « reçus sans droit » comme elle l’a déjà fait dans le passé, sauf en cas de fraude ou de mauvaise foi avérée.
Rien pour s’attaquer à la judiciarisation du régime
Si le nouveau processus de contestation des décisions pourrait, dans certain cas, accélérer le traitement de litiges et leur résolution par le Tribunal, on peut craindre qu’il n’engendre beaucoup de confusion et pour certaines victimes de lésions professionnelles, des pertes de droits.
Mais ce qui est le plus choquant, c’est de constater que la réforme n’a rien fait pour s’en prendre à la judiciarisation qui est devenue un problème majeur du régime de réparation des lésions professionnelles. Le nombre de contestations patronales que reçoit le Tribunal administratif du travail, qui se comptent en dizaine de milliers par an, croît depuis des années. La réforme n’a rien fait pour s’y attaquer : les employeurs gardent le droit de contester toute décision rendue dans le dossier d’une travailleuse ou d’un travailleur et ont intérêt à le faire.
Le Tribunal anticipe même une augmentation de l’afflux de contestations avec les dispositions qui prennent effet le 6 avril 2023, puisqu’il deviendra possible de contester bon nombre de décisions directement au TAT, sans que la révision n’ait eu l’occasion de se prononcer. C’est ce qui a d’ailleurs décidé le Tribunal à se doter d’une nouvelle procédure de traitement des litiges devant être mise en place au cours de la présente année, comme nous en discutons plus loin dans ce Journal.
Tant qu’une réforme ne remettra pas en question les droits de contestation des employeurs ou le système actuel d’imputation qui les pousse à contester, le Tribunal continuera d’être enseveli sous les contestations patronales. À quand une réforme s’attaquant frontalement à ce problème au lieu de réduire les droits des travailleuses et travailleurs blessés ou rendus malades par leur travail?