Le présent article a été rédigé à partir du contenu de la présentation faite par l’épidémiologiste Norman King lors de la soirée d’information ayant eu lieu à l’uttam le 20 février dernier. Nous le remercions pour sa participation à cette soirée et sa précieuse contribution à l’uttam.
Félix Lapan
Un neurotoxique est une substance pouvant porter atteinte à la structure du système nerveux ou altérer son fonctionnement de manière temporaire ou permanente à la suite d’une exposition prolongée. Présents dans plusieurs milieux de travail, ces produits peuvent avoir des effets insidieux sur les travailleuses et travailleurs qui y sont exposés. Il est important de les connaître pour savoir comment prévenir les maladies, quand il convient de consulter un médecin et comment prouver qu’une telle substance a pu causer une maladie du travail.
Le système nerveux contrôle l’ensemble des fonctions physiques ainsi que les processus mental, intellectuel et émotionnel de l’être humain. Il est formé du système nerveux central, qui comprend le cerveau et la moëlle épinière et du système nerveux périphérique, qui inclut les nerfs qui s’étendent dans toutes les parties du corps à partir du système nerveux central.
Dans le présent article, ce sont les effets que peuvent avoir les substances neurotoxiques sur le système nerveux central que nous examinons.
L’exposition aux neurotoxiques en milieu de travail
De nombreuses substances pouvant avoir des effets neurotoxiques se retrouvent dans les milieux de travail. C’est le cas des solvants utilisés dans la fabrication de plusieurs produits comme les peintures, les vernis et les colles. C’est aussi le cas des pesticides utilisés pour l’agriculture ou le jardinage. Plusieurs métaux lourds présents dans des milieux de travail, tels que le plomb ou l’arsenic, sont aussi des neurotoxiques.
L’exposition peut se produire de plusieurs manières. Elle peut se faire par ingestion, quand des travailleuses ou des travailleurs touchent ou manipulent des substances neurotoxiques avant de les transporter involontairement à leur bouche en mangeant ou simplement en se rongeant les ongles. Elle peut aussi se faire par contact cutané. Certaines substances neurotoxiques sont en effet capables de traverser la peau et de pénétrer ainsi dans l’organisme.
Toutefois, c’est avant tout par inhalation que les travailleuses et travailleurs sont exposés, en respirant les vapeurs ou les poussières de ces dangereuses substances. Une fois dans les poumons, les substances dangereuses sont transportées par le sang jusqu’au cerveau. C’est pourquoi il est essentiel que les milieux de travail où on les manipule soient dotés d’un système de ventilation générale et d’un équipement qui aspire les poussières et les vapeurs à leur source d’émission. La substitution de produits nocifs par d’autres produits non nocifs est un moyen de prévention encore plus efficace, en remplaçant, par exemple, la peinture à base de solvant par la peinture à base d’eau. En dernier recours, les équipements de protection respiratoire peuvent s’avérer utiles pour diminuer les risques quand il n’est pas possible d’éliminer entièrement le danger à la source. Mentionnons aussi les obligations des employeurs de former les travailleuses et les travailleurs sur les dangers des produits qu’ils manipulent et les moyens de prévention et de rendre accessibles aux travailleuses et travailleurs et leurs représentants les fiches de données de sécurité concernant tout produit auquel ils peuvent être exposés. C’est ainsi que les travailleuses et les travailleurs peuvent avoir l’information pour travailler de façon sécuritaire.
Intoxication aigue ou chronique et la nécessité de consulter
Une exposition de courte durée, mais importante, peut entraîner ce qui sera qualifié d’intoxication « aigue » : les effets perceptibles se manifestent immédiatement ou peu de temps après l’exposition. Cela peut, par exemple, se produire à la suite d’une exposition accidentelle à une très forte dose d’un produit neurotoxique. La travailleuse ou le travailleur pourrait alors ressentir un mal de tête, des étourdissements, de la confusion ou une sensation similaire à celle que peut causer une trop forte consommation d’alcool. Les effets sont habituellement réversibles mais, selon son ampleur, une telle intoxication peut laisser des séquelles permanentes, causer une perte de connaissance, des convulsions ou même entraîner la mort.
Comme les symptômes d’une intoxication aigue apparaissent et se développent rapidement, les victimes sont habituellement à même de réaliser que quelque chose ne va pas et qu’il est nécessaire de consulter un médecin.
Une exposition répétée ou prolongée dans le temps, à une plus faible concentration de produits neurotoxiques dans l’air, peut causer, à moyen ou long terme, ce qui sera qualifié d’intoxication « chronique ». Les symptômes se développeront alors insidieusement et peuvent comprendre la perte de mémoire, des difficultés de concentration, de la fatigue, des difficultés de sommeil, la perte de libido ou des changements d’humeur, tels que l’irritabilité, l’anxiété ou la dépression. Une telle intoxication perturbe donc de façon majeure la vie d’une personne atteinte et son entourage. Dès que de tels symptômes sont constatés, il faut rapidement consulter un médecin.
Les symptômes d’une intoxication chronique se développent graduellement et insidieusement, sont non-spécifiques et ont tendance à disparaitre lors des périodes de repos dans un premier temps. Il est facile de les ignorer ou de penser qu’ils ont une autre cause. Il est fréquent que ce soit l’entourage de la victime qui encourage cette dernière à consulter un médecin, alors que les symptômes apparaissent et altèrent progressivement son comportement.
Les neurones tués par une exposition chronique ne régénèrent pas et les dommages causés sont souvent permanents. On parlera alors d’une « encéphalopathie toxique » ou encore d’un « syndrome cérébral organique » pour désigner cette atteinte irréversible au système nerveux central. L’établissement du diagnostic permettra de faire cesser l’exposition, empêchant ainsi l’aggravation de la condition de la victime. Une évaluation neuropsychologique s’avérera souvent essentielle pour mesurer et compléter le portrait réel des séquelles. On procédera à une série prolongée de tests raffinés et plus ou moins complexes pour vérifier le fonctionnement de différents réseaux du cerveau.
Faire reconnaitre une intoxication comme maladie professionnelle
Les travailleuses et travailleurs qui subissent une intoxication chronique au travail ont parfois du mal à faire reconnaitre qu’ils sont victimes d’une maladie professionnelle. Les obstacles sont en effet nombreux, car il faut prouver que la maladie est en relation avec le travail. Il faut donc être en mesure de documenter les produits auxquels on a été exposé ainsi que leurs effets sur la santé, ce qui n’est pas toujours évident. Très peu de cas sont reconnus par la CNÉSST chaque année.
Le Règlement sur les maladies professionnelles permet à la travailleuse ou au travailleur de bénéficier d’une présomption légale pour une intoxication causée par un certain nombre d’agents chimiques, incluant plusieurs métaux et solvants. Pour ces substances, si la victime reçoit un diagnostic d’intoxication, il suffit théoriquement de prouver une exposition au travail pour que l’origine professionnelle soit présumée. En réalité, la CNÉSST et même parfois le Tribunal exigent la preuve d’une exposition atteignant un certain seuil pour accepter la réclamation, même si le Règlement n’en prévoit pas pour le moment.
Une telle exigence n’est fondée ni sur la loi ni sur la science, car la susceptibilité individuelle varie de façon importante d’une personne à l’autre et l’exposition à une substance toxique en bas d’un certain seuil ne garantit pas qu’aucune personne exposée ne sera malade. L’uttam continuera donc de lutter contre l’imposition de « conditions particulières » restrictives qu’il faudrait rencontrer pour qu’une maladie professionnelle causée par les neurotoxiques soit reconnue.