La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit une procédure d’évaluation médicale. Cette procédure accorde un statut prédominant à l’avis du médecin qui a charge de la travailleuse ou du travailleur : la CNÉSST et l’employeur sont, en principe, liés par les conclusions du médecin traitant quant au diagnostic, la période de consolidation, les soins et traitements, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
La Loi permet toutefois à la CNÉSST et l’employeur de déclencher la procédure d’évaluation médicale en demandant à un médecin désigné de leur choix d’examiner la travailleuse ou le travailleur, chaque fois qu’un rapport médical est complété par le médecin traitant. Si le rapport médical de ce médecin désigné infirme les conclusions du médecin qui a charge, les avis divergents sont soumis au Bureau d’évaluation médicale (BÉM). Le médecin du BÉM, à la suite d’un examen médical, souvent dénoncé comme étant bâclé1, doit rendre un avis motivé par écrit qui lie la CNÉSST. C’est à cette étape que l’opinion du médecin traitant s’efface complètement et que les travailleuses et travailleurs sont souvent consolidés sans séquelles. Consolidés par des médecins membres du BÉM – petit clan de médecins privilégiés – qui, supposément neutres, agissaient souvent auparavant comme médecin expert pour la CNÉSST et les employeurs2…
Enjeu majeur du régime d’indemnisation des lésions professionnelles, la procédure d’évaluation médicale est donc l’outil privilégié de la CNÉSST et des employeurs pour gérer les coûts du régime et ainsi maintenir le contrôle au détriment des victimes. Pourquoi? Parce qu’une lésion miraculeusement guérie par le BÉM a le grand avantage de ne plus générer de coûts en indemnité de remplacement du revenu, mais aussi en frais d’assistance médicale, de réadaptation et d’indemnité pour atteinte permanente. Il devient donc plus avantageux de payer grassement les médecins du BÉM que de réparer légitiment les lésions professionnelles et ses conséquences. Par conséquent, les victimes d’accidents ou de maladies du travail, souvent aux prises avec une condition de santé et financière précaires, doivent alors se battre jusqu’au Tribunal contre un système arbitraire pour convaincre le juge de respecter l’opinion du médecin traitant et donc de renverser les avis du BÉM qui, dans 75% des cas, confirment les décisions des médecins désignés3. Un système qui contribue, immanquablement, à aggraver les souffrances physiques (fin de traitements prescrits/retours au travail prématurés, etc.) et même engendrer des lésions psychiques dues au stress subi et aux abus du système. Un système qui, par le fait même, contribue inévitablement à judiciariser le régime d’indemnisation.
Depuis toujours, l’uttam dénonce ce mécanisme d’évaluation médicale aberrant. Un mécanisme dénoncé dès 1994 par les membres d’un comité d’experts formé par la CSST (devenue CNÉSST) pour traiter de la déjudiciarisation, qui ne recommandait rien de moins que l’abolition du BÉM et le maintien du rôle essentiel du médecin traitant. Même l’ancien ministre du Travail de l’époque, Mathias Rioux, admis en 2008 sur les ondes de Radio-Canada son erreur d’avoir refusé d’appliquer la recommandation du comité d’experts, affirmant du même coup que les travailleuses et travailleurs sont les grands perdants de ce système! Aujourd’hui, plus de 30 ans plus tard, les victimes de lésions professionnelles ont encore à subir cette procédure machiavélique, alors disons OUI au retrait des pouvoirs de contestation des employeurs et de la CNÉSST en matière médicale et surtout à l’abolition du BÉM pour une VÉRITABLE réparation!
- Assemblée des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s du Québec, Pour un nouveau processus d’évaluation médicale en matière d’accidents et de maladies du travail, Mémoire présenté à la Commission de l’économie et du travail dans le cadre des consultations particulières sur le Rapport d’évaluation du Bureau d’évaluation médicale, février 2006, p. 24-25. ↩︎
- Ibid., p. 25-30. ↩︎
- Ibid., p. 23. ↩︎