Décision récente – Paccar Canada (Usine de Ste-Thérèse) et Leblanc, 2023 QCTAT 3989

Une solution inacceptable aux délais du BEM!

Paccar Canada (Usine de Ste-Thérèse) et Leblanc, 2023 QCTAT 3989.

Les faits

En décembre 2019, la travailleuse, assembleuse à l’usine Paccar, chute dans le stationnement de l’employeur. La CNÉSST accepte sa réclamation, notamment, pour entorse cervicale et traumatisme craniocérébral léger. En juillet 2020, son médecin traitant pose un diagnostic de dépression majeure, accepté par la CNÉSST, mais aussitôt contesté par l’employeur. Le rapport du médecin désigné de l’employeur contredisant l’opinion de son médecin traitant, l’employeur demande, en juin 2021, que la travailleuse soit évaluée par un psychiatre du Bureau d’évaluation médicale (BÉM). En juillet 2021, compte tenu de l’absence d’un avis du BÉM dans les 30 jours de la transmission du dossier au BÉM et que le délai d’attente pour voir un psychiatre peut être d’un an à deux ans, l’employeur demande à la CNÉSST d’appliquer le 3e alinéa de l’article 224.1 Latmp et donc d’être liée par le rapport du professionnel qu’elle peut désigner. Pour la CNÉSST, le délai de 30 jours de l’article 222 Latmp, auquel réfère l’article 224.1 Latmp, débute non pas à la date où la Commission transmet sa demande au BÉM, mais plutôt à partir du moment où le BÉM transmet le dossier au médecin examinateur. S’agissant d’un pouvoir discrétionnaire, la CNÉSST refuse la demande de l’employeur, qui conteste cette décision au Tribunal.

La décision du Tribunal

Dans sa décision, le Tribunal insiste d’abord sur le fait que le terme peut, étant un pouvoir discrétionnaire, ne doit pas être exercé de façon arbitraire, injuste ou déraisonnable. La CNÉSST s’étant dotée d’une politique ayant pour objectif de favoriser une application uniforme de ses décisions, autant en matière psychologique, doit donc s’y conformer. En l’espèce, comme le BÉM tarde à désigner un médecin psychiatre, faute de disponibilité, attendre qu’il désigne un membre pour rendre un avis a pour effet de mettre en veilleuse le traitement de la contestation, ce qui ne respecte pas l’esprit de la loi qui commande de procéder avec efficacité et célérité, les parties n’ayant aucun intérêt à ce que la procédure stagne. Le BÉM étant dans l’impossibilité de désigner un psychiatre dans un délai raisonnable, le silence de la loi à cet égard ainsi que son application littérale génèrent un résultat incohérent pour le Tribunal, soit que la procédure d’évaluation médicale ne puisse aboutir, résultat non souhaité par le législateur.  La travailleuse n’étant pas, non plus, brimée dans ses droits en ce qu’elle conserve son droit de contester au Tribunal la décision rendue par la CNÉSST. Le Tribunal conclut donc que la CNÉSST se doit de désigner un professionnel de la santé en application du 3e alinéa de l’article 224.1 Latmp, compte tenu de l’impossibilité pour le BÉM de désigner un médecin psychiatre dans un délai raisonnable.

Analyse critique

Aux dires du Tribunal, en rendant une décision en vertu de l’article 224.1 Latmp, la CNÉSST respecterait l’esprit de la loi, de manière analogue à une décision rendue par le BEM, car elle permet aux parties de la contester et ainsi faire valoir leur point de vue devant le Tribunal. Affirmation plutôt déconcertante, quand on sait que le BÉM – entité qui se doit d’être neutre et impartiale – intervient en cas de divergence d’opinions médicales entre le médecin qui a charge du travailleur et le médecin désigné par l’employeur ou par la CNÉSST. Le médecin désigné, parti pris, en l’occurrence de la CNÉSST, engage systématiquement une contestation au Tribunal.

D’ailleurs, si l’attente occasionnée par la nomination d’un médecin spécialiste « bloque » la contestation, à quel intérêt réfère-t-on vraiment à vouloir tant éviter la stagnation, sinon celui de l’employeur? Et quoi dire des conclusions liantes du professionnel de la santé désigné par la CNÉSST, qui ont comme conséquences pour les travailleuses et les travailleurs d’attendre une décision finale du Tribunal pour faire rétablir leurs droits? Concevoir qu’ils soient privés de soins et d’indemnités, alors qu’ils devraient normalement y avoir droit respecte-t-il mieux l’esprit de la loi? Une loi à caractère sociale, d’interprétation souple, nuancée et respectueuse de l’objectif visé par la mise en place du régime d’indemnité de remplacement du revenu : une loi réparatrice. La seule façon d’y parvenir serait non pas de retenir la règle de la prédominance de l’opinion du professionnel de la santé qui a charge seulement en cas d’absence d’un avis du BÉM, par manque de professionnels spécialisés, et donc d’appliquer l’article 224.1 Latmp en cas d’exception, mais en tout temps! Les nombreux problèmes relatifs aux BÉM pourraient si facilement disparaitre par l’instauration du rôle prépondérant du médecin traitant et donc par l’abolition de ce bureau!

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