« Traite humaine » pour des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires

Nathalie Brière

Des travailleuses et travailleurs mexicains ont dénoncé les conditions de travail complètement inhumaines du Camping Havana Resort de l’Estrie, où près de 25 travailleuses et travailleurs étrangers temporaires ont, en effet, été recrutés à l’été 2022 pour y travailler. Deux d’entre eux, ayant contacté le Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ), en août dernier, ont raconté devoir travailler de 10 à 13 heures par jour, six jours sur sept, et n’avoir été payés qu’environ 4 $ de l’heure, pour effectuer, notamment, des activités d’animation culturelle, le service à la clientèle et l’entretien ménager. Alerté par la situation, le RATTMAQ est intervenu au dossier pour aider ces personnes à porter plainte aux Normes du travail.

Arrivés au Canada comme touristes, ces travailleuses et travailleurs avaient été engagés sous la promesse d’avoir de bonnes conditions de travail ainsi qu’un permis de travail ouvert, ce qui aurait permis de changer d’employeur. Mais ces démarches n’ont jamais été réalisées par l’employeur, malgré des demandes répétées, les obligeant à demeurer chez cet employeur, pris au piège, sans protection et isolés, compte tenu de l’éloignement du Camping des centres urbains. Sans permis de travail, ces travailleuses et travailleurs se retrouvaient en situation d’illégalité, à risque d’expulsion et sans aucune protection en cas d’accidents ou de maladies du travail.

Pour l’employeur, les démarches pour les permis de travail n’avaient pas à être faites, puisque, selon lui, les travailleuses et travailleurs du domaine culturel en sont exemptés. Bien qu’une exemption existe pour certains professionnels du domaine artistique, cette exemption ne s’applique que pour des séjours de courte durée et non pas dans les cas d’animateurs œuvrant sur plusieurs semaines au sein d’un camping.  Dans le cas de ces travailleuses et travailleurs étrangers temporaires, l’employeur se devait donc de faire les démarches pour l’obtention de permis de travail.

Parmi ses manœuvres dolosives, l’employeur prélevait directement de leur salaire un montant d’argent pour se rembourser les billets d’avion, initialement payés, de même que les frais d’hébergement, leur laissant un maigre salaire d’environ 180 $ par semaine, bien qu’il soit pourtant illégal d’exiger le remboursement des frais liés au recrutement de travailleuses et travailleurs migrants.  Suite aux plaintes déposées par le RATTMAQ, pour deux des 25 travailleuses et travailleurs, la CNÉSST confirme que ces personnes devaient bénéficier du salaire minimum en vigueur au Québec et donc qu’un salaire de 14,25 $ aurait dû leur être versé. De ce constat, la CNÉSST, intervenant pour l’ensemble de ces travailleuses et travailleurs, a déterminé que l’employeur devait remettre à chacun d’eux, un montant d’environ 13 000 $.  L’employeur a toutefois contesté cette décision au Tribunal administratif du travail. Soulignons que des plaintes pénales ont aussi été logées contre l’employeur et qu’une enquête menée par la GRC pour traite humaine est présentement en cours. En attendant l’issue de l’audience du Tribunal et de ces autres plaintes, les 25 travailleuses et travailleurs étrangers sont retournés dans leur pays à la fin de l’été.  

Pendant ce temps, le RATTMAQ réclame plus de surveillance de la part des gouvernements pour éviter que des situations semblables se produisent de nouveau, autant chez cet employeur qu’ailleurs. Le RATTMAQ demeure d’ailleurs très actif au sein d’un autre dossier pour dénoncer le fait que des travailleurs étrangers mexicains sont moins payés que leurs collègues québécois pour un même travail. Il milite également pour la fin des permis de travail fermés délivrés aux travailleurs étrangers temporaires, compte tenu que cette pratique les oblige à demeurer auprès d’un seul employeur, une fois engagés, et donc dans une situation de vulnérabilité.

De façon générale, le RATTMAQ informe et accompagne les travailleurs étrangers temporaires dans l’exercice de leurs droits, particulièrement en matière de normes et de santé et sécurité du travail. Étant donné une hausse depuis 2019 de 65 % du nombre de travailleurs étrangers temporaires au Québec, leur travail est essentiel. Cette hausse s’accompagne également d’une hausse de 800 % des plaintes déposées à la CNÉSST par des travailleurs étrangers temporaires et d’une hausse de 135 % des réclamations pour accidents du travail. Sans compter qu’il ne s’agirait que de la pointe de l’iceberg, puisque plusieurs travailleurs étrangers temporaires hésitent encore à porter plainte de peur de représailles de la part de leur employeur.

Compte tenu de la situation, la CNÉSST a récemment annoncé un ajout de 10 agents à son escouade de prévention auprès de travailleurs étrangers temporaires, portant le nombre à 22. Un ratio somme toute dérisoire pour près de 40 000 travailleurs étrangers! Heureusement que des organismes comme le RATTMAQ veille à informer et soutenir les travailleurs étrangers temporaires dans la défense de leurs droits.

Reste à espérer que le courage des travailleuses et travailleurs mexicains, ayant dénoncé leur employeur avec l’appui du RATTMAQ, serve de leçon pour l’an prochain et que les employeurs, tels que le Camping Havana Resort, procéderont selon les règles établies, afin que ces travailleuses et travailleurs obtiennent leur permis de travail et que leurs droits soient respectés.

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