La réadaptation après une lésion professionnelle, ça peut aussi être pour les équipements de loisir!

Me Manuel Johnson

L’objectif premier de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), stipulé à son article 1, est « la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires ».  Comme nous le verrons dans le présent texte, cette réparation peut s’étendre jusqu’aux équipements de loisir.

La réparation des lésions professionnelles que peut offrir la CNÉSST ne se limite pas aux conséquences physiques et professionnelles des accidents et des maladies du travail.   Le droit à la réparation des victimes comprend aussi le droit à la réadaptation sociale, qui a pour but d’aider la victime « à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s’adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles »1.  Ce droit inclut notamment la possibilité de faire adapter les équipements de loisir.

Ce principe est logique et juste : les travailleuses et travailleurs qui mettent leur santé physique et mentale à risque pour générer des profits pour les employeurs ne devraient pas avoir à supporter les conséquences des blessures physiques et psychiques qui en résultent.  Le droit à la réparation des conséquences d’une lésion doit s’étendre à tous les aspects de leur vie affectée par les blessures ou maladies contractées au travail.

Malgré ce principe fondamental, le gouvernement québécois a disgracieusement réduit l’ampleur des services couverts par la réadaptation sociale avec sa réforme du régime adoptée en 2021, et dont un changement important au droit à la réadaptation est entré en vigueur le 6 octobre 2022.  En effet, le législateur a enlevé le mot « notamment » qui se trouvait à l’article 152 de la loi.  En droit, l’ajout ou la suppression d’un seul mot peut faire toute la différence.  Dans cet article, le mot « notamment » signifiait que la liste des mesures de réadaptation énumérées n’était pas limitative.  Donc, si avant le 6 octobre 2022 l’article 152 de la loi donnait des exemples de mesures de réadaptation sociale, telles que des services d’intervention psychosociale, le paiement des frais d’aide personnelle à domicile, le remboursement des frais de garde d’enfant, le remboursement du coût des travaux d’entretien courant du domicile et l’adaptation du véhicule ou du domicile à la capacité résiduelle de la travailleuse ou du travailleur, ces mesures sont devenues, après le 6 octobre 2022, les seules couvertes par la loi.  Avant cette date, l’adaptation des équipements de loisir à la capacité résiduelle de la travailleuse ou du travailleur était accordée en vertu du « notamment ».

La suppression du terme « notamment » à l’article 152 est un des reculs qui nuit aux droits des travailleuses et travailleurs blessés ou malades.  Heureusement, le droit à l’adaptation des équipements de loisir a été préservé par une modification du paragraphe 2o de cet article, qui se lit désormais ainsi: « la mise en œuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile, un véhicule ou des équipements de loisir adaptés à sa capacité résiduelle ».2

Pour avoir droit au remboursement des coûts d’adaptation d’un équipement de loisir, la travailleuse ou le travailleur doit avoir subi une « atteinte permanente grave à son intégrité physique »3 et démontrer que cette réadaptation est nécessaire pour le rendre capable d’utiliser lui-même cet équipement ou pour lui permettre d’y avoir accès.

De plus, la travailleuse ou le travailleur qui remplit ces conditions doit fournir « au moins deux estimations détaillées des travaux à exécuter, faites par des entrepreneurs spécialisés » et remettre à la Commission copies des « autorisations et permis requis pour l’exécution de ces travaux »4.

Voici quelques exemples des équipements de loisir dont les coûts ont été remboursés par la CNÉSST :

  • Un travailleur qui pratiquait la pêche régulièrement se fait rembourser le coût d’un treuil électrique pour sa chaloupe, car en raison de ses limitations physiques découlant de sa lésion professionnelle, il n’est plus capable d’arrimer sa chaloupe sur la remorque avec un treuil manuel;
  • Un travailleur qui pratiquait régulièrement la chasse et qui ne peut plus tirer à l’arc en raison de ses limitations se voit accorder le remboursement du coût d’achat d’une arbalète.  Puisque le travailleur possédait son propre arc, le Tribunal considère que le remboursement du coût de l’achat de l’arbalète représente l’adaptation d’un équipement de loisir, et non pas l’acquisition d’un nouvel équipement;
  • Un travailleur ayant subi une amputation de la jambe gauche se voit accorder par le Tribunal le remboursement des frais reliés à l’acquisition d’un vélo de route manuel adapté;
  • Un travailleur qui s’est vu accorder le remboursement du coût d’un fauteuil motorisé d’utilisation intérieure pour ses activités quotidiennes se voit accorder le droit au remboursement du coût d’acquisition d’un triporteur, car, bien que le triporteur ne soit pas un équipement de loisir, cet équipement est nécessaire pour permettre au travailleur d’exercer une de ses principales activités de loisir, le camping.  La CNÉSST avait refusé le remboursement de ce triporteur sous prétexte d’être superflu, étant donné que le travailleur avait déjà son fauteuil électrique.  Le Tribunal, donnant tort à la Commission, explique que « le triporteur est une aide qui s’inscrit dans l’objectif de la réadaptation sociale en lui permettant de redevenir autonome dans ses transports extérieurs, en l’aidant à surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle et à s’adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion »5.  Le triporteur peut en effet rouler sur des surfaces non lisses, telles que la pelouse, ce que le fauteuil motorisé ne peut pas faire;
  • Un travailleur se voit accorder le remboursement des coûts des travaux de l’installation d’une passerelle entre la galerie et la piscine hors terre de son domicile ainsi que l’installation d’un système de levier sous forme de chaise fixée à un cylindre hydraulique pour faciliter l’accès à la piscine.6

En revanche, dans un autre dossier, un travailleur se voit refuser les coûts d’acquisition d’un siège avec dossier et d’un démarreur électrique pour sa chaloupe, car, selon le tribunal, il n’a pas démontré qu’il pratiquait régulièrement cette activité avant sa lésion.  De plus, le tribunal estime que cette activité ne respecte pas les limitations fonctionnelles reconnues en lien avec sa lésion.

Vous aurez compris que chaque cas est un cas d’espèce.  Pour avoir droit au remboursement de la réadaptation des équipements de loisir, il faut démontrer d’abord que cette activité était pratiquée régulièrement avant la lésion professionnelle.  Cela limite les possibilités des travailleuses et travailleurs blessés ou malades de développer de nouveaux intérêts ou activités de loisir qui ne sont pas compatibles avec leurs limitations fonctionnelles sans adaptation des équipements.  Par la suite, il faut démontrer que les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle rendent difficile ou impossible l’activité de loisir pratiquée avant la lésion professionnelle.  Enfin, il faut démontrer que l’activité de loisir pratiquée avec les équipements adaptés respecte toujours les restrictions fonctionnelles reconnues par la Commission.


  1. Article 151 LATMP. ↩︎
  2. Article 152, paragraphe 2o LATMP. ↩︎
  3. Article 155.1 LATMP. ↩︎
  4. Article 156 LATMP. ↩︎
  5. 2022 QCTAT 4635. ↩︎
  6. 2001 CanLII 47527. ↩︎

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