Cancer de la vessie par exposition aux émanations de diésel : les obstacles à la reconnaissance des maladies professionnelles complexes

Norman King
M.Sc. Épidémiologie

Nous savons tous que la reconnaissance d’une maladie professionnelle par la CNÉSST, alors que cette maladie n’est pas prévue par le Règlement sur les maladies professionnelles, représente un défi important. C’est d’ailleurs le cas de la majorité des cancers d’origine professionnelle : à part ceux qui sont causés par la fibre d’amiante et, pour les pompiers, par les gaz et fumées d’incendies, aucun cancer ne figure à la liste des maladies présumées professionnelles du règlement.

Le cas présenté dans ce texte illustre bien les difficultés qu’une travailleuse ou un travailleur ou la famille d’une victime peut rencontrer dans leurs démarches pour faire reconnaitre un cancer professionnel.  Nous mettrons aussi en lumière certaines solutions qui peuvent faciliter les choses.

Le travailleur dont il est question dans cet article a eu une carrière de 36 ans comme mécanicien de machinerie lourde, chef de projet et représentant du service de maintenance. Pendant vingt-cinq ans, il a été assigné à une mine d’amiante à Asbestos (appelée maintenant Val-des-Sources), mais sa carrière totale s’est étendue sur 36 ans, de 1960 à 1996.

Le travailleur a développé une amiantose en raison de son travail à proximité des mines d’amiante. Il a déposé sa réclamation pour cette maladie au mois de mai 2021, peu de temps avant son décès causé par un cancer de la vessie. Bien que le travailleur ait passé une bonne partie de sa vie professionnelle sur les sites des mines d’amiante et qu’il présentait une fibrose pulmonaire sévère, le comité des maladies professionnelles pulmonaires (CMPP) qui a examiné le dossier a demandé à la CNÉSST d’obtenir une enquête d’hygiène industrielle afin de pouvoir estimer la dose d’exposition à l’amiante.

Lorsqu’une telle enquête est demandée, la CNÉSST demande à un hygiéniste du réseau de santé publique de procéder à celle-ci. Dans le cas qui nous occupe, l’enquête a démontré une forte exposition à la fibre d’amiante. Le CMPP a alors reconnu l’amiantose chez le travailleur et le Comité spécial des présidents (CSP) a confirmé cet avis, mais les deux comités ont aussi conclu que le décès par cancer de la vessie n’était pas secondaire à l’amiantose. Sur cette base, la CNÉSST a refusé la réclamation soumise par la famille pour décès par maladie professionnelle.

La succession du travailleur m’a contacté via l’Association des victimes de l’amiante du Québec (AVAQ) pour voir si je pouvais les aider dans leurs démarches. J’étais d’accord avec les deux comités (et avec la CNÉSST) que le cancer de la vessie n’était pas secondaire à l’amiantose ou à l’exposition à la fibre d’amiante, mais j’étais surpris de constater que leur analyse du dossier s’était arrêtée là. En effet, je considérais essentiel de voir si le rapport d’enquête en hygiène industrielle avait démontré la présence d’autres contaminants susceptibles de causer un cancer de la vessie. Par exemple, le lien entre une exposition aux émanations de diésel et le cancer de la vessie est démontré par des études épidémiologiques.

Or, la démarche suivie par l’auteur du rapport d’enquête en hygiène industrielle demandée par le CMPP a été extrêmement rigoureuse et il a mentionné l’ensemble des contaminants auxquels le travailleur avait été exposé pendant ses 36 ans de carrière. La conclusion du rapport n’a laissé aucun doute. En effet, le rapport conclut que le travailleur « a certainement été exposé de façon régulière à des aérosols de particules ultrafines émises par les moteurs Diésel, fortement contaminés par des hydrocarbures aromatiques polycycliques ».

La succession a donc contesté la décision de la CNÉSST ayant refusé la réclamation pour le décès du travailleur et j’ai produit une expertise en épidémiologie pour la révision administrative. Dans cette expertise, j’ai démontré le lien causal bien établi entre une exposition aux émanations de diésel et le cancer de la vessie, surtout pour les travailleuses et travailleurs fortement exposés, comme c’était le cas ici (36 ans d’exposition de façon régulière).

Malheureusement, tout comme les deux comités des pneumologues et la première instance de la CNÉSST, la révision administrative a regardé le dossier uniquement sous l’angle d’une maladie secondaire à l’amiantose et a maintenu le refus de la réclamation pour le décès.

Grâce aux excellents conseils de l’uttam, j’ai suggéré à la succession de produire une nouvelle réclamation pour maladie professionnelle (cancer de la vessie). L’expertise que j’avais produite pour la révision administrative a alors été envoyée à l’agente d’indemnisation responsable de rendre la décision.

Grâce à la littérature scientifique établissant clairement la relation entre le cancer de la vessie et les émanations de diésel, et puisque le travailleur a été fortement exposé à ces émanations, la CNÉSST a accepté cette nouvelle réclamation dès la première instance. La succession n’a donc pas eu besoin d’aller au Tribunal administratif du travail pour avoir gain de cause. Ceci a été un grand soulagement pour elle, trois ans après le décès du travailleur en raison de sa maladie professionnelle.

Ce dossier, qui s’est finalement bien terminé, illustre un phénomène fréquent pour les dossiers de maladies professionnelles complexes. En effet, il arrive souvent qu’une travailleuse, un travailleur ou, en cas décès, sa famille soumette une réclamation pour une maladie comme le cancer qui a de multiples causes possibles, sans disposer de toute l’information sur la nature des contaminants auxquels la victime a pu être exposée pendant sa carrière. La preuve du lien causal devient alors très difficile à établir. En l’absence de cette information cruciale, la réclamation sera habituellement refusée.

Pour éviter une telle situation, il est parfois nécessaire d’obtenir une enquête d’hygiène industrielle comme celle demandée par le CMPP dans ce dossier. Une fois le niveau et le type d’exposition aux contaminants établis, il est possible d’évaluer si la littérature scientifique reconnait un lien causal entre la maladie en question et cette exposition de la travailleuse ou du travailleur.

C’est pour cette raison que l’uttam revendique depuis un bon moment la nécessité pour la CNÉSST de demander au réseau de santé publique de procéder à une enquête d’hygiène industrielle dans les cas de maladies du travail complexes. Un cas comme celui que je viens de présenter démontre la nécessité de cette revendication et, pour que le régime de réparation reconnaisse pleinement les maladies professionnelles, l’importance qu’une telle procédure d’enquête systématique soit mise en place par la CNÉSST.

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