Me Annie Gagnon
Rebecca, jeune travailleuse de 15 ans, débute un emploi d’été comme monitrice de camp de jour à la fin de son année scolaire. Dès sa première semaine, elle est victime d’un malheureux accident impliquant un trampoline lors duquel elle se fracture la jambe droite. Non seulement elle devra passer l’été avec une jambe dans le plâtre, mais elle n’aura droit qu’à une indemnité de 121 $ par semaine de la CNÉSST pour cet accident, bien loin du salaire net de près de 500 $ par semaine qu’elle aurait gagné en travaillant tout l’été. Si elle avait eu 18 ans, pour le même accident, Rebecca aurait pourtant touché une indemnité de 452,22 $ par semaine…
Dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre, bien des employeurs embauchent des enfants de plus en plus jeunes pour faire fonctionner leur entreprise. Comme ces travailleuses et travailleurs de moins de 18 ans qui débutent sur le marché du travail sont plus à risques de subir un accident du travail en raison de leur manque d’expérience, on assiste depuis les dernières années à une impressionnante croissance du nombre d’accidents du travail dont sont victimes ces enfants.
En plus de subir leur lésion, ces travailleuses et travailleurs de moins de 18 ans sont affectés par une disposition discriminatoire inscrite dans la loi qui entraine leur sous-indemnisation en cas d’arrêt de travail.
En effet, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit, à son article 80, que les travailleurs qui sont inscrits à temps plein dans un établissement d’enseignement et qui sont âgés de moins de 18 ans ont droit à une indemnité de remplacement du revenu fixée à 121 $ par semaine en 2023.
Le même article prévoit la possibilité de retenir une indemnité plus élevée si l’enfant démontre avoir gagné, au cours des 12 mois précédant son incapacité de travail, un revenu brut annuel d’emploi le justifiant. Puisque beaucoup d’enfants débutent un emploi sans avoir une expérience de travail d’un an lorsque survient une lésion professionnelle, ils ne peuvent bénéficier de cette possibilité et doivent se contenter de cette indemnisation limitée à 121 $ par semaine.
La règle du salaire minimum
La loi prévoit pourtant une règle générale selon laquelle une travailleuse ou un travailleur rendu incapable d’effectuer son travail en raison d’une lésion professionnelle a le droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu pour compenser sa perte de capacité de travail. Le calcul se fait en considérant le revenu brut annuel prévu par le contrat de travail, lequel ne peut être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur au moment de la lésion, et ce, en fonction d’une semaine normale de travail à temps plein de 40 heures.
Cette méthode de calcul de l’indemnité de remplacement du revenu, prévue par les articles 6 et 65 de la LATMP, fait en sorte que l’indemnité de remplacement du revenu d’une victime de lésion professionnelle ne peut normalement pas être inférieure à 452,22 $ par semaine. Cette règle repose sur le principe qu’une victime de lésion professionnelle rendue incapable de travailler devient inapte à temps plein et doit être compensée pour cette perte à temps plein.
La sous-indemnisation des enfants victimes de lésions professionnelles
Or, la règle du salaire minimum ne s’applique pas aux enfants mineurs pour qui l’article 80 limite, comme on l’a vu, l’indemnité, dans la plupart des cas, à 121 $ net par semaine jusqu’à 18 ans. Il y a donc, de toute évidence, une injustice flagrante pour ces jeunes travailleuses et travailleurs.
Ce n’est qu’à compter de leur 18e anniversaire, si l’incapacité de travail se prolonge jusque-là, que l’indemnité de remplacement du revenu d’un enfant victime d’une lésion professionnelle sera recalculée à partir du revenu annuel déterminé sur la base du salaire minimum pour une semaine normale de travail de 40 heures. À compter de l’âge de 21 ans, l’indemnité de remplacement du revenu pourra aussi être révisée à la hausse si la victime démontre qu’elle aurait probablement touché un revenu plus élevé n’eut été de sa lésion.
Le projet de loi sur le travail des enfants
La hausse du nombre de lésions professionnelles subies par des enfants a amené le gouvernement à déposer, en mars dernier, le projet de loi no 19 pour améliorer l’encadrement du travail des enfants. Si elle a modifié des dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et de la Loi sur les normes du travail, cette réforme n’a malheureusement pas touché à la LATMP et a donc laissé intacte la disposition discriminatoire de l’article 80.
Pourtant, cette sous-indemnisation des enfants n’aide certainement pas à prévenir les lésions dont ils sont victimes. Au contraire, elle allège le fardeau financier des employeurs, ce qui pourrait avoir comme effet pervers d’inciter un employeur qui embauche des enfants à négliger la prévention, étant donné le coût négligeable que représente ces lésions.
Notons aussi que la réforme autorise le travail des enfants pour 17 heures par semaine pendant la période scolaire et sans limite le reste de l’année. Une indemnité de remplacement du revenu qui viserait à compenser réellement la perte de capacité de gain d’un enfant, soit de 17 heures pendant les 36 semaines de l’année scolaire et de 40 heures pour le reste de l’année, devrait s’élever minimalement à 303,80 $ par semaine d’arrêt de travail. On le constate, à 121 $ par semaine, on est bien loin du compte.
Pour reprendre l’exemple du début de ce texte, comme bien des enfants victimes d’un accident du travail, Rebecca devra se contenter d’une fraction du revenu qu’elle aurait touché en travaillant si elle n’avait pas subi sa lésion. Dans son cas, l’indemnité de remplacement du revenu, pourtant censée correspondre à 90 % du salaire net, n’atteindra pas 30 % de ce qu’elle aurait gagné en travaillant. Malheureusement pour elle comme pour d’autres, le gouvernement et le ministre du Travail n’ont pas cru bon remédier à cette injustice flagrante, alors que le projet de loi offrait pourtant l’occasion parfaite de le faire…