Le nouveau Comité scientifique de la CNÉSST : son rôle, ses pouvoirs, ses mandats

La réforme de la loi prévoit la mise sur pied d’un nouveau Comité scientifique chargé de faire des recommandations à la CNÉSST sur les maladies professionnelles.  Alors que ce comité est sur le point d’être formé, on se penche sur le rôle qu’il devra jouer et l’impact qu’il risque d’avoir sur la reconnaissance des maladies du travail.

Il est généralement difficile de faire reconnaitre qu’une maladie, dont est victime une travailleuse ou un travailleur, a été causée par son travail.  Prouver la relation entre la maladie et le travail nécessite souvent la production d’une preuve scientifique qui n’est pas facile à obtenir pour la victime.  L’expertise d’un médecin ou d’un ergonome est généralement coûteuse et les études épidémiologiques que la CNÉSST ou le Tribunal exige pour accepter une maladie professionnelle sont rarement accessibles.

La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit cependant un mécanisme pour faciliter la démonstration de cette relation pour certaines maladies.  Il s’agit de la présomption de l’article 29 de la loi.  Cette disposition dispense la victime d’une maladie inscrite à la liste des maladies professionnelles d’avoir à démontrer que sa maladie a été causée par le travail si certains critères sont rencontrés : on présumera que la maladie est reliée au travail.

La liste de ces maladies pour lesquelles on peut bénéficier de la présomption est cependant très limitée et bien insuffisante.  La liste contient à peine la moitié des maladies que l’Organisation internationale du Travail (OIT, un organisme de l’ONU) recommande aux États membres d’adopter.  Plusieurs maladies professionnelles, largement reconnues ailleurs dans le monde, n’y figurent donc pas.  La CNÉSST dispose du pouvoir d’ajouter des maladies à la liste depuis 1985, mais elle ne l’a jamais fait.

La réforme aurait pu être l’occasion d’ajouter les maladies manquantes, mais elle s’est limitée à inscrire certains cancers dont sont victimes les pompiers, le trouble de stress post-traumatique, la maladie de Lyme et la maladie de Parkinson causée par les pesticides.  Pour tout le reste, la réforme a plutôt prévu la création du nouveau « Comité scientifique sur les maladies professionnelles » qui sera chargé de faire des recommandations de modifications à la liste des maladies professionnelles.  Comme on le verra maintenant, ces recommandations ne se limiteront pas à d’éventuelles bonifications de la liste des maladies professionnelles, bien au contraire…

Le Comité scientifique : ce que prévoit la loi

La loi prévoit que le Comité scientifique doit être composé de cinq membres nommés par le gouvernement après un appel de candidatures et des consultations.  Ces cinq membres doivent inclure au moins un médecin spécialiste de la médecine du travail ou de la santé publique, un médecin d’une autre spécialité, un hygiéniste du travail et un épidémiologiste.  Les dispositions de la loi qui concernent ce comité entrent en vigueur aussitôt que ses cinq membres seront nommés.

Le gouvernement a le pouvoir de procéder à ces nominations depuis le 6 octobre 2021.  Les premiers appels de candidatures, lancés à la suite de l’adoption de la réforme, n’ont cependant pas mené à la création du comité.  Au moment d’écrire ces lignes, les cinq membres du comité n’avaient toujours pas reçu leur nomination officielle.  Ils auraient toutefois été choisis et seraient sur le point d’être nommés formellement.  Le Comité scientifique devrait donc être mis sur pied dans les prochaines semaines et commencera alors son travail.

Une fois mis sur pied, le Comité a pour mandat de recenser et d’analyser les études et recherches sur les maladies du travail afin de produire des avis à la CNÉSST, qui pourra ensuite modifier ou non la liste des maladies professionnelles sur cette base.  Bref, le Comité scientifique n’a qu’un pouvoir de recommandation et rien ne forcera la CNÉSST à ajouter des maladies à la liste même si le Comité devait émettre un avis en ce sens.  Rappelons qu’aucune maladie n’a été ajoutée à la liste de 1985 à 2021 même si la CNÉSST pouvait le faire et que la science le justifiait.  Si le passé est garant de l’avenir, il y a de bonnes chances que les éventuels avis du Comité recommandant l’ajout de maladies à la liste restent lettre morte.

Notons que les avis du Comité ne seront transmis, au moment de leur production, qu’au ministre et à la CNÉSST.  Ce n’est qu’un an plus tard, ou au moment de la publication d’un projet de règlement fondé sur un tel avis, que la CNÉSST a l’obligation de les rendre publics sur son site Internet.

Les mandats du ministre et de la CNÉSST

Le Comité a aussi pour mandat d’examiner toute question que la CNÉSST ou le ministre lui soumet.  Le ministre du Travail lui a d’ailleurs déjà confié un premier mandat, lors de l’étude détaillée de la réforme, soit celui de donner un avis sur les critères d’admissibilité devant s’appliquer pour qu’une réclamation pour atteinte auditive causée par le bruit soit recevable.  La réforme prévoit, en effet, que certaines surdités professionnelles seront exclues de toute possibilité d’indemnisation selon des critères devant être déterminés par règlement.  Pour le moment, ces critères ne sont pas définis si bien que toutes les réclamations peuvent encore être acceptées.  En revanche, quand le Comité aura donné un avis à ce sujet, on peut prévoir que la CNÉSST tentera d’adopter un règlement pour inscrire de tels critères, afin d’exclure d’entrée de jeu certaines réclamations pour surdité professionnelle.

On sait aussi que la CNÉSST souhaite que le Comité se penche sur l’ensemble des maladies déjà inscrites à la liste, afin de donner un avis sur les conditions particulières à rencontrer pour que la présomption s’applique.  Avant la réforme, il suffisait d’avoir effectué un travail correspondant à une maladie prévue par la liste pour bénéficier de la présomption.  Depuis le 6 octobre 2021, certaines maladies sont assorties de conditions particulières qui concernent d’autres questions que le travail lui-même.  Il peut s’agir d’une durée spécifique d’exercice d’un emploi, du délai d’apparition d’un diagnostic ou d’une condition concernant le comportement de la travailleuse ou du travailleur (tel que « Ne pas avoir été fumeur »).

Pour l’instant, ces conditions ne s’appliquent qu’aux nouvelles maladies ayant été ajoutées à la liste lors de la réforme.  La CNÉSST souhaite cependant que le nouveau Comité scientifique se penche sur toutes les maladies déjà reconnues pour lui recommander l’ajout de tels critères, qui seront autant d’obstacles pour l’application de la présomption, rendant ainsi plus difficile la reconnaissance de certaines maladies.

Le Comité pourrait éventuellement se pencher sur de nouvelles maladies pouvant être ajoutées à la liste, mais on peut déjà prévoir qu’il sera occupé longtemps par les mandats que lui confieront le ministre et la CNÉSST et qui concerneront surtout des obstacles à ajouter aux maladies professionnelles actuellement reconnues.

Tout indique donc que le nouveau Comité scientifique qui devrait débuter son travail dans les mois qui viennent ne facilitera pas la reconnaissance des maladies causées par le travail.  Au contraire, il risque de justifier l’ajout de critères et de conditions qui feront obstacles à l’admissibilité pour bien des victimes…

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