Brandt Tractor : des employés qui se tiennent debout face aux pratiques antisyndicales d’un employeur méprisant

Nathalie Brière

Depuis le 25 mai 2023, les 11 employés de Brandt Tractor de Chicoutimi, majoritairement des mécaniciens, sont en grève illimitée. Sans convention collective depuis le 31 décembre 2020, les employés essaient, tant bien que mal, de négocier avec un employeur très peu soucieux des lois du travail québécoises. Depuis le début du conflit, l’employeur, qui ignore non seulement le Code du travail, mais aussi les ordonnances des Tribunaux, ne cesse d’entraver le travail des salariés qui se tiennent debout pour demeurer syndiqués.

Depuis le début des négociations, le Syndicat national des employés de garage du Québec (SNEGQ), affilié à la CSD qui représente la dizaine de travailleurs, a dû faire face aux pratiques antisyndicales répétées de l’employeur. La dernière décision rendue par le Tribunal administratif du travail, en janvier 2024, ordonnait à l’employeur de cesser l’utilisation de briseurs de grève.

Ayant dû se rendre devant les tribunaux à sept reprises pour pratiques antisyndicales, les tribunaux ont toujours donné raison au syndicat face à la mauvaise foi de l’employeur dans les négociations. Malgré cette septième victoire du genre pour le syndicat, l’employeur continue d’ignorer les ordonnances et d’en faire à sa tête.

La dynamique actuelle qui persiste entre Brandt Tractor et les salariés de Chicoutimi est d’un contraste déconcertant d’avec les propriétaires précédents qui avaient signé, sans aucune difficulté, une convention collective avec l’association syndicale accréditée, présente depuis 25 ans. Mais voilà que les négociations pour le renouvellement de la convention collective, qui prenait fin en décembre 2020, ont pris une toute autre tournure, lors de l’acquisition de l’établissement de Chicoutimi par Brandt, en 2019.

Brandt, compagnie canadienne ayant son siège social en Saskatchewan, détient un réseau pancanadien d’établissements, dont une dizaine sont situés au Québec. Toutefois, l’établissement de Chicoutimi est le seul à être syndiqué, ce qui explique pourquoi les nouveaux propriétaires refusent catégoriquement de négocier avec un syndicat, se fichant complètement des lois québécoises.

Le comportement de l’employeur condamné par les Tribunaux

L’échéance de la convention collective étant prévue en décembre 2020, les demandes initiales déposées par le syndicat, à l’automne 2020, se basaient essentiellement sur la convention en vigueur de l’époque. Ralenties par la pandémie de Covid-19, les négociations ont repris en 2021, lorsque l’employeur, par un texte élagué à plus de 50%, a présenté au syndicat un projet de convention dans lequel il se réservait, notamment, le droit de changer à son gré les salaires des employés. Face à un employeur inflexible lors des rencontres de conciliation, le syndicat n’a eu d’autre choix que d’avoir recours au Tribunal administratif du travail, afin de contraindre l’employeur à reprendre les négociations sans délai et surtout qu’elles se tiennent de bonne foi.

À l’été 2022, le Tribunal donne donc raison au syndicat à l’effet que l’offre patronale comporte « des clauses déraisonnables et contraires à la nature même d’une négociation collective en contravention à son obligation de négocier de bonne foi ». Le Tribunal ordonne ainsi d’abandonner les propositions abusives discriminatoires et arbitraires, notamment celle de se réserver le droit de changer unilatéralement les conditions de travail, dont les salaires, contrairement au droit procédural relatif à toute bonne négociation collective. Insatisfait de la décision, l’employeur conteste en Cour supérieure et en Cour d’appel qui, d’abord, maintient le jugement du Tribunal et, ensuite, rejette la permission d’en appeler, soulignant au passage que la « preuve de négociation de mauvaise foi saute aux yeux ». Poursuivant ses manœuvres véreuses, une nouvelle plainte déposée par le syndicat est accueillie par le Tribunal en mai 2023, qui ordonne de nouveau à l’employeur de cesser d’entraver les activités du syndicat.

À l’été 2023, l’employeur persiste dans ses démarches, mais le Tribunal suspend les nouvelles procédures intentées par ce dernier, qui prétend à la mauvaise foi du syndicat. À peine quelques jours plus tard, devant la situation qui demeure inchangée depuis la décision de la Cour d’appel, l’employeur ne donnant pas suite aux ordonnances rendues, le Tribunal ordonne une nouvelle fois à l’employeur de cesser de recourir à des briseurs de grève.

L’ordonnance étant provisoire et non respectée par l’employeur, le syndicat obtient une fois de plus gain de cause en janvier 2024, à l’effet que l’employeur doit cesser l’utilisation de briseurs de grève dans l’établissement. Encore faut-il que l’entreprise respecte cette nouvelle ordonnance du Tribunal… En appui aux salariés, le jugement précise également que l’établissement signifie non seulement le lieu du garage, mais aussi tous les lieux où les mécaniciens exercent habituellement leur fonction, soit les lieux où se font les réparations de la machinerie sur tout le territoire du Saguenay-Lac-St-Jean, jusqu’à Chibougamau. Une victoire importante pour le syndicat et les travailleurs en grève qui ont documenté la venue de techniciens non-syndiqués provenant d’autres succursales de l’entreprise ou de mécaniciens indépendants.

Compte tenu de la situation qui perdure, le recours pour outrage au Tribunal semble donc le seul moyen pour le syndicat de faire respecter par l’employeur les ordonnances préalablement rendues. Une audience avait d’ailleurs lieu à ce sujet en février dernier. Ce manque d’exécution des ordonnances contre l’entreprise contraste fâcheusement avec le pouvoir qu’on les employeurs face à la mise en œuvre des injonctions par les policiers appelés durant une grève pour protéger des travailleurs qui mettent le pied sur leur terrain!

Les actions prises par les travailleurs et le syndicat 

Dans leur lutte contre Brandt Tractor, les actions du syndicat se situent principalement au niveau judiciaire. Avec seulement une dizaine d’employés, il est plutôt difficile d’avoir un impact sur une ligne de piquetage ou même d’obtenir l’intervention du ministre.

Outre les actions légales, les travailleurs en grève ont toutefois organisé des mobilisations, dont une à Québec en novembre dernier, pour demander l’intervention d’un arbitre afin de dénouer le conflit.  Les travailleurs ont donc mis l’employeur au défi d’accepter l’intervention d’un arbitre qui aurait pu trancher et décider d’une convention collective, ce que l’employeur a, sans surprise, refusé. Malgré ce constat, les travailleurs sont bien préparés pour une grève de longue durée et déterminés d’avoir l’employeur à l’usure.

Reste à espérer que les ordonnances préalablement rendues par les différents tribunaux se fassent entendre et respecter de l’employeur pour qu’une véritable convention collective puisse être enfin signée dans l’intérêt de travailleurs qui savent se tenir debout!

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