Un texte de Félix Lapan
Le 26 décembre 2024, la Gazette officielle du Québec publiait le projet de Règlement sur les services de santé, l’équipement adapté et les autres frais. Ce volumineux projet de règlement, que la CNÉSST souhaite faire adopter d’ici le 1er octobre prochain, doit encadrer le droit des victimes d’accidents et de maladies du travail à l’assistance médicale. Il s’agit d’une importante attaque aux droits des travailleuses et travailleurs. Dans ce dossier, nous nous penchons sur les principaux impacts qu’il aura s’il est adopté sans changement.
Pour le moment, le droit à l’assistance médicale des victimes du travail est prévu par les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) et encadré, pour certains aspects, par deux règlements : celui sur l’assistance médicale et celui sur les prothèses auditives et services d’audiologie. À son entrée en vigueur, le nouveau règlement prendra la place de ces deux règlements et modifiera plusieurs dispositions de la LATMP, remplaçant le concept d’« assistance médicale » par les « services de santé » et « l’équipement adapté ».
Le projet de règlement découle directement de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (LMRSST), le projet de loi 59 adopté à l’automne 2021. Cette réforme du ministre du Travail, Jean Boulet, accorde à la CNÉSST le pouvoir de faire ce nouveau règlement et prévoit des changements à la loi à son entrée en vigueur.
Le projet de règlement prévoit de nombreuses limites et restrictions aux services de santé et aux équipements adaptés auxquelles les victimes de lésions professionnelles se verront opposer. Il confirme aussi des restrictions à l’accès aux soins, traitements et équipements qui existent déjà dans les règlements actuels. L’uttam a produit des commentaires pour dénoncer le fait qu’il compromettrait l’accès aux services de santé et aux équipements adaptés dont ont besoin les travailleuses et travailleurs en raison de leur lésion. Nous avons demandé qu’il soit retiré ou significativement modifié avant son adoption, pour garantir réellement le droit à l’assistance médicale des victimes de lésions professionnelles.
Ce que ce projet de règlement va changer
Sans entrer dans tous les détails d’un projet de règlement qui compte 202 articles et 7 annexes, nous tenterons, dans les lignes qui suivent, de présenter les principaux reculs aux droits des victimes que son adoption entrainera. Le projet de règlement lui-même peut être consulté en ligne, tout comme les commentaires complets de l’uttam à son sujet. S’il est adopté, comme la CNÉSST le souhaite, le nouveau règlement entrera en vigueur le 1er octobre 2025. À partir de ce moment, ses dispositions prendront effet. Comme on le verra, des restrictions tous azimuts s’appliqueront alors à l’assistance médicale.
Le projet de règlement prévoit des restrictions strictes au cannabis médical pour les victimes de lésions professionnelles. La quantité remboursable sera limitée à 3 grammes par jour et, mis à part des cas d’exception, seules les formes ingérées ou transdermiques seront admises, sans égard à ce que prescrira le médecin traitant d’une victime.
L’entrée en vigueur du projet de règlement entrainera le remplacement du droit à la réadaptation physique, encadré par la loi, par les « services de réadaptation physique » prévus au règlement. Les dispositions actuelles de la loi, qui disparaitront avec le nouveau règlement, prévoient le droit à des soins médicaux et infirmiers, à des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie, ainsi qu’à tous autres soins jugés nécessaires par le médecin traitant. Le projet de règlement ne prévoit pratiquement rien pour remplacer ces droits perdus. Il limite les services de réadaptation physique à l’inhalothérapie à domicile, au transfert de dominance et à l’imagerie motrice graduée, alors que les besoins des victimes peuvent être beaucoup plus variés.
Le projet de règlement introduit aussi plusieurs conditions restrictives pour accéder à certains services ou équipements, tels que la nécessité d’avoir présenté à la Commission une demande d’autorisation préalable à leur obtention pour qu’ils soient ensuite remboursables. La victime se procurant un service ou un équipement visé par une telle condition, sans avoir présenté de demande préalable, ne pourra donc pas se le faire rembourser par la suite, même si elle prouve qu’elle en avait besoin pour sa lésion.
Pour certains services de santé non couverts par la RAMQ, le projet de règlement exige, par ailleurs, une démonstration scientifique et médicale d’efficacité pour la travailleuse ou le travailleur. Comme l’efficacité de certains services de santé peut varier selon la personne qui les reçoit, exiger une telle démonstration préalable à l’autorisation du paiement reviendra à nier la possibilité d’y avoir accès pour la majorité des victimes.
Le projet de règlement prévoit aussi que la CNÉSST n’assumera pas le coût de remplacement de prothèses ou orthèses perdues, détruites, volées ou mal utilisées. Cette disposition privera dans les faits des victimes de la possibilité de faire remplacer un équipement essentiel pour pallier les conséquences de leur lésion, même si elles ne sont pas responsables du vol ou du bris de l’équipement en question.
Des limites chiffrées en nombre de séances pour certains services de santé sont également imposées, sans tenir compte de la variabilité des besoins individuels. Par exemple, l’imagerie motrice graduée et le transfert de dominance sont limités à une séance par semaine pour un nombre maximal de semaines, sans tenir compte de l’avis du médecin traitant qui pourrait juger que des séances supplémentaires sont nécessaires.
Le projet de règlement impose aussi des limites pour le paiement de certains équipements adaptés qui peuvent s’avérer problématiques. Par exemple, il prévoit qu’une seule paire d’orthèses plantaires sera remboursée tous les deux ans, alors qu’aucune limite de ce type n’existe actuellement. De même, la possibilité de faire rembourser l’achat de chaussures devant être adaptées pour les besoins de la travailleuse ou du travailleur est limitée à une seule paire.
De nombreux montants précis pour des soins, traitements et équipements sont aussi prévus par le projet de règlement. Notons que de telles limites existent déjà dans les règlements actuels et qu’elles font parfois obstacle à l’accès aux soins dont les victimes ont besoin. Par exemple, les tarifs actuellement en vigueur pour la physiothérapie et l’ergothérapie sont bien en-deçà de ceux qu’appliquent les cliniques privées pour leur clientèle générale. Pour cette raison, les victimes de lésions professionnelles, dont les traitements sont payés au tarif CNÉSST, reçoivent souvent des séances écourtées comparativement à celles qu’on donne au reste de la clientèle. Ces limites monétaires sont toutes reconduites par le projet de règlement, qui en ajoute plusieurs autres, notamment pour des équipements qui n’étaient pas assujettis jusque-là à de tels tarifs chiffrés.
Enfin, mentionnons que le projet de règlement prévoit des dispositions pour indexer certains montants, mais ces règles d’indexation sont limitées, incomplètes et incohérentes. Ces mécanismes d’indexation ne s’appliquent qu’à certains soins et traitements et excluent les traitements les plus fréquemment prescrits, à savoir la physiothérapie et l’ergothérapie. Il est difficile de comprendre pourquoi un mécanisme unique d’indexation s’appliquant à tous les montants inscrits au règlement n’a pas été prévu, sinon parce que la CNÉSST cherche à limiter arbitrairement les hausses de coûts à venir pour les services et équipements qu’elle aura à payer.
Les principes qui devraient fonder le règlement
Dans sa forme actuelle, le projet de règlement de la CNÉSST est inacceptable. L’uttam a donc demandé que des modifications importantes lui soient apportées pour garantir un réel accès aux services de santé et aux équipements adaptés. Pour nous, un règlement encadrant le droit des victimes du travail à des services de santé et des équipements adaptés devrait permettre l’accès le plus large possible aux services et équipements adaptés pouvant contribuer à la réparation des lésions professionnelles.
En limitant l’accès aux services et équipements que pourront recevoir les victimes, le projet de règlement empiète sur une prérogative du médecin traitant. Personne n’est mieux placé que le médecin traitant pour déterminer les besoins d’une victime de lésion professionnelle. Cette idée est un des fondements du régime de réparation. La loi prévoit d’ailleurs que la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits est une question médicale sur laquelle la CNÉSST est censée être liée par l’avis du médecin traitant.
L’uttam a donc demandé que le projet de règlement soit significativement modifié ou à défaut, qu’il soit retiré pour être entièrement réécrit. Nous avons fait valoir qu’un tel règlement doit prévoir le droit à tous les services de santé et équipements adaptés prescrits par le médecin traitant.
Nous suivrons bien sûr de près le cheminement du projet de règlement jusqu’à son adoption et son entrée en vigueur prévue pour le 1er octobre prochain. La CNÉSST doit se repencher sur son projet de règlement à la lumière des commentaires reçus et le gouvernement devra approuver la version finale à venir. D’ici là, l’uttam dénoncera les reculs que la CNÉSST veut imposer pour réaliser des économies aux dépens de la santé des victimes et continuera de revendiquer le droit à l’assistance médicale le plus large possible. Une lutte qui est loin d’être terminée!