Un texte de Marco Montemiglio
En octobre 2024, Laure Marivain, une travailleuse du nord-ouest de la France, qui a œuvré en horticulture a obtenu une indemnisation pour le décès de sa fille de 11 ans. La petite Emmy est décédée d’un cancer, une leucémie aigüe lymphoblastique B diagnostiquée alors qu’elle avait 4 ans. La cause de ce cancer? L’exposition aux pesticides de sa mère durant la grossesse. Elle lui a transmis des substances cancérigènes accumulées dans son propre corps à la suite de son exposition aux pesticides durant son travail de fleuriste.
Après le décès de sa fille, Laure Marivain a entrepris une lutte pour la reconnaissance du lien de causalité entre son exposition aux contaminants contenus dans les pesticides durant son travail et la maladie dont était atteinte son enfant. Son but était d’obtenir une juste indemnisation pour les souffrances de sa fille et des proches. Par son combat, elle désirait également faire avancer la prévention pour la santé et la sécurité au travail pour les travailleuses et travailleurs en horticulture.
C’est la première fois en France que la relation est reconnue entre une exposition professionnelle aux pesticides durant la grossesse et le cancer diagnostiqué chez l’enfant après sa naissance. Madame Marivain avait déposé une réclamation auprès du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) financé par le programme de la sécurité sociale en France. Pour l’étude de ce cas, c’est la Commission d’indemnisation des enfants victimes d’une exposition prénatale aux pesticides créée par le Fonds en 2020 qui a été saisie du dossier de la petite Emmy. Cette commission doit examiner toute réclamation pour une maladie en relation avec l’utilisation des pesticides au travail par la mère durant la grossesse ou du père avant la conception. Lorsque le lien de causalité est reconnu par la Commission, il y a ouverture à une indemnisation en vertu d’un barème pour une indemnité forfaitaire (un montant unique défini par règlement).
Madame Marivain a ainsi obtenu un montant de 25 000 euros (soit l’équivalent d’un peu plus de 37 000 dollars canadiens). Bien que satisfaite de la reconnaissance par la Commission du lien de causalité entre sa propre exposition aux produits toxiques durant son travail et la maladie ainsi que le décès de sa fille, madame Marivain conteste le montant accordé. Elle revendique une réelle indemnisation des préjudices subis et demande une révision de l’indemnité. Elle a ainsi décidé de poursuivre son combat judiciaire et politique. Le Tribunal saisi de cette affaire a refusé de réviser à la hausse l’indemnité versée par le FIVP. La famille de la petite Emmy a déclaré, par l’entremise de leur avocat, qu’un appel de ce jugement est actuellement envisagé. Elle désire également entreprendre des démarches politiques pour amener les autorités à adopter des règles législatives, afin de règlementer, voire interdire, les produits toxiques utilisés en horticulture.
La situation au Québec
Inutile de mentionner ici que le Québec peut être considéré comme dernier de classe quant à la reconnaissance de la relation entre certains cancers et l’exposition périnatale aux pesticides. D’abord, cette notion d’exposition périnatale est absente de la législation québécoise en matière de prévention et d’indemnisation des maladies du travail.
En effet, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) ne reconnaît aucun droit d’indemnisation pour l’enfant victime d’une maladie causée par l’exposition des parents aux contaminants pendant la grossesse ou avant la conception pour le père.
Qui plus est, la reconnaissance entre les différents cancers et l’exposition aux pesticides n’en n’est qu’à ses premiers balbutiements. Par exemple, le règlement sur les maladies du travail prévoit une seule présomption de maladie professionnelle en lien avec l’exposition aux pesticides, soit la maladie de Parkinson. Cette reconnaissance est survenue en 2021 à la suite de combats menés par des victimes de cette maladie. Aucun cancer en lien avec l’exposition aux pesticides n’est prévu aux règlements. Ainsi, le fardeau de preuve exigé aux personnes réclamant des indemnités, pour un cancer relié à ces contaminants au travail, est très important.
Conséquemment, on ne s’étonnera pas que, malgré plusieurs tentatives, peu de réclamations déposées en vertu de la LATMP ont été acceptées par les tribunaux pour des cancers en relation avec l’exposition aux pesticides. Cependant, en 2021, un travailleur agricole, monsieur Lazo Bautista, a obtenu gain de cause pour la reconnaissance de son lymphome non hodgkinien causé par son exposition au travail1. Aidé par le Réseau d’aide aux travailleurs et travailleuses migrants agricoles du Québec (RATTMAQ), ce travailleur a, entre autres, déposé la liste du gouvernement français, établissant une relation causale entre ce cancer et l’exposition aux pesticides. Par la démonstration de son exposition aux pesticides au travail et la preuve scientifique déposée à l’audience, il a réussi à convaincre le Tribunal que son cancer était d’origine professionnelle.
Malgré l’existence d’études scientifiques démontrant l’augmentation des cancers chez les travailleuses et travailleurs exposés aux pesticides ainsi que la reconnaissance de cette relation par d’autres pays et organisations, le Québec tarde toujours à adopter des mesures de prévention et d’indemnisation spécifique à cet égard.
Continuons la lutte!
Les membres de l’uttam ont adopté une revendication spécifique concernant la reconnaissance des maladies liées à l’exposition périnatale à des contaminants au travail. La plateforme de revendications de l’uttam demande que « Les maladies fœtales professionnelles doivent être reconnues au même titre que toute autre lésion professionnelle et l’enfant malade ou handicapé doit avoir droit aux mêmes bénéfices que toute autre victime de lésion professionnelle. »
De plus, la LATMP, depuis sa modification en 2021, a permis la création d’un comité scientifique sur les maladies professionnelles. Ce comité a pour mandat de recommander et de conseiller le ministre et la CNÉSST sur l’état de la science à l’égard de la relation causale entre des contaminants et certaines maladies ainsi que les risques particuliers d’un travail pouvant causer ces maladies. L’uttam prévoit faire des interventions auprès de ce comité, afin de faire avancer ses revendications pour une plus grande reconnaissance des maladies reliées au travail.
Le combat et la victoire de Madame Marivain en France doivent nous inspirer à continuer notre revendication pour une plus grande reconnaissance des maladies contractées par l’enfant en lien avec l’exposition périnatale des parents aux pesticides ou autres contaminants.
Référence
- Lazo Bautista et Faille, 2021 QCTAT 5854.