Norman King,
M.Sc. Épidémiologie
La Société canadienne du cancer décrit le lymphome non hodgkinien comme « un cancer qui prend naissance dans les lymphocytes ». Il s’agit des cellules du système lymphatique, ce système qui agit avec d’autres parties du système immunitaire pour défendre le corps contre des infections et des maladies11.
L’exposition aux pesticides est une cause reconnue de cette maladie. En effet, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) considère que le glyphosate, ingrédient actif du pesticide « Roundup », est un cancérigène probable (catégorie 2A). Plusieurs personnes atteintes de ce cancer aux États-Unis ont intenté des poursuites contre la compagnie qui fabrique ce produit, et cette dernière a conclu une entente à l’amiable avec environ 125 000 de ces demandeurs en acceptant de verser plus de 10 milliards de dollars US pour mettre fin à ces procédures. Mentionnons qu’une action collective pancanadienne est présentement en cours également22, mais que contrairement à certains pays européens et quelques municipalités canadiennes, le Canada n’a toujours pas banni l’utilisation de ce produit. Son utilisation au Québec a même augmenté beaucoup ces dernières années33.
Malgré les connaissances scientifiques actuelles sur le pouvoir cancérigène du glyphosate, le nouveau Règlement sur les maladies professionnelles, adopté en même temps que la réforme Boulet, n’a pas ajouté le lymphome non hodgkinien causé par une exposition aux pesticides à la liste des maladies présumées professionnelles.
Par contre, une décision très récente du Tribunal administratif du travail (TAT)44 crée un précédent fort intéressant pour la reconnaissance du lymphome non hodgkinien comme maladie professionnelle causée par une exposition aux pesticides. De plus, cette décision aborde un autre sujet très pertinent, soit la susceptibilité individuelle55. Ceci est particulièrement important dans le contexte actuel où le nouveau Règlement sur les maladies professionnelles a déjà ajouté des conditions particulières pour faire obstacle à la reconnaissance de certaines maladies professionnelles et que la CNÉSST veut en ajouter d’autres.
Le lymphome non hodgkinien est causé par une exposition aux pesticides
La récente décision du TAT concerne un travailleur saisonnier mexicain qui a travaillé pendant quatre ans dans un verger de pommes et de bleuets. La preuve présentée devant le Tribunal a démontré qu’il a été exposé à une trentaine de pesticides (dont le glyphosate et le malathion, un autre pesticide reconnu comme cancérigène probable par le CIRC) sans équipement de protection adéquat. De plus, une étude canadienne déposée lors de l’audience démontre que le risque de développer la maladie augmente avec le nombre de pesticides utilisés. Le Tribunal a donc reconnu que l’emploi exercé par le travailleur comporte des risques particuliers de développer un lymphome non hodgkinien.
La susceptibilité individuelle doit être considérée pour toute réclamation
Le Tribunal a dû analyser un autre aspect avant de conclure que le lymphome non hodgkinien dont souffre le travailleur est une maladie professionnelle. En effet, certaines études suggèrent qu’une durée minimale d’exposition aux pesticides de 10 ans soit requise avant de reconnaître qu’un lymphome non hodgkinien puisse être causé par une exposition aux pesticides. Par contre, il a été mis en preuve aussi que plusieurs facteurs tels la génétique, l’âge, le sexe ou la présence d’autres maladies feront en sorte que les gens ne réagissent pas de la même façon lorsqu’ils sont exposés à des risques pour la santé. On touche ici à la notion de susceptibilité individuelle. Cela signifie que dans le cas de deux personnes exposées aux mêmes substances, avec une durée et une intensité d’exposition identiques, une pourra développer une maladie et l’autre pas. Le Tribunal conclut donc ce qui suit : « Dès lors, il devient difficile, voire impossible d’établir des seuils minimaux d’exposition acceptables ».
Le Tribunal a donc tenu compte du fait que la susceptibilité aux contaminants chimiques varie d’un individu à l’autre et du fait qu’il n’existe pas de consensus scientifique sans équivoque concernant une durée minimale d’exposition qui est sécuritaire pour tous. Le Tribunal considère ainsi qu’une durée d’exposition aux pesticides inférieure à 10 ans ne rend pas improbable la relation causale entre une telle exposition et le développement d’un lymphome non hodgkinien. C’est particulièrement vrai dans le contexte d’une exposition non sécuritaire à plusieurs pesticides dont deux cancérigènes probables. Le caractère professionnel du lymphome non hodgkinien a donc été reconnu.
Retombées de cette décision
Bien sûr, le précédent créé par cette décision facilitera la reconnaissance d’autres cas de lymphome non hodgkinien chez les travailleurs ayant déjà utilisé ces pesticides. Mais plus important encore, elle nous envoie un message clair sur la nécessité de prévenir ces maladies en remplaçant des pesticides cancérigènes par d’autres produits moins nocifs. Cette élimination à la source du danger est d’autant plus important dans le cas des pesticides selon Maryse Bouchard, professeure en santé environnementale et santé au travail de l’Université de Montréal. Selon elle, les équipements de protection personnelle nécessaires pour protéger les travailleurs qui épandent des pesticides nocifs sont très lourds à porter et très inconfortables, surtout en été quand les températures peuvent dépasser le 30oC66.
Une autre retombée majeure concerne l’ensemble des victimes de maladies professionnelles. En effet, le nouveau Règlement sur les maladies professionnelles ajoute quelques maladies à la liste de celles qui étaient déjà présumées professionnelles avant l’adoption de la réforme. Toutefois, le règlement impose également des conditions particulières qui doivent être rencontrées avant d’appliquer la présomption pour ces nouvelles maladies professionnelles, faisant ainsi obstacle à leur reconnaissance. De plus, la CNÉSST a la ferme intention d’en imposer d’autres pour les maladies déjà couvertes par la présomption de la Loi, comme l’autorise le nouveau pouvoir règlementaire dont l’a dotée la réforme. Non seulement plusieurs des conditions particulières déjà imposées n’ont aucun fondement scientifique, mais la volonté d’imposer de telles conditions aux autres maladies fait fi du principe de la susceptibilité individuelle évoqué dans cette décision récente. En affirmant qu’il devient « difficile voire impossible d’établir des seuils minimaux d’exposition acceptables », la juge qui a rendu la décision démontre clairement que la CNÉSST fait fausse route en voulant imposer de telles conditions et que le gouvernement n’aurait jamais dû lui accorder ce pouvoir.
Références
- Qu’est-ce que le lymphome non hodgkinien? ; Société canadienne du cancer, site consulté le 8 mars 2022; https://cancer.ca/fr/cancer-information/cancer-types/non-hodgkin-lymphoma/what-is-non-hodgkin-lymphoma. ↩︎
- Un premier travailleur agricole mexicain fait reconnaître son cancer lié aux pesticides ; Sarah Champagne, Le Devoir, 18 février 2022. ↩︎
- Santé Canada veut autoriser plus de pesticide glyphosate sur des aliments ; Thomas Gerbet, Radio-Canada, 19 juillet 2021. ↩︎
- Lazo Bautista et Faille, 2021 QCTAT 5854, Tribunal administratif du travail (Division de la santé et de la sécurité du travail), décision de la juge Sonia Sylvestre, rendue le 3 décembre 2021, rectifiée le 8 décembre 2021. ↩︎
- Les maladies du travail et la susceptibilité individuelle ; Norman King, Journal de l’uttam, printemps 2020, p.4. ↩︎
- Une victoire qui pourrait reformer l’usage des pesticides ; Nicolas Bérubé, La Presse, 7 mars 2022. ↩︎