Bulletin n° 9
En adoptant la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), le Québec a inscrit dans sa législation un droit au retrait préventif pour une travailleuse enceinte ou qui allaite en cas d’exposition à un danger au travail, pour elle, pour l’enfant à naître ou pour l’enfant allaité.
À l’époque de son adoption, ce droit était considéré comme fort avant-gardiste. Encore aujourd’hui, il demeure un acquis important pour les travailleuses. Ce droit offre une protection importante aux travailleuses qui exercent des métiers comportant des risques particuliers en cas de grossesse ou d’allaitement qui envisagent d’avoir un enfant. Ces travailleuses savent qu’en cas de grossesse, elles auront le droit d’être retirées des tâches à risque.
Malheureusement, ce droit est aujourd’hui menacé par le projet de loi n° 59 déposé par le ministre Boulet.
Le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite est entièrement financé par les cotisations patronales à la CNÉSST, puisque ce droit découle directement des conditions de travail dangereuses qui existent dans les entreprises. Ça ne fait toutefois pas l’affaire des organisations patronales, qui se plaignent depuis des années des coûts associés au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite.
Sans aller jusqu’à retirer le retrait préventif de la LSST, comme le demande le patronat, le ministre Boulet a choisi d’offrir une satisfaction partielle aux employeurs en imposant de nouvelles conditions à l’exercice de ce droit pour rendre son accès plus difficile.
Pour comprendre ce qui change, il faut d’abord connaître le fonctionnement actuel du droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite.
La travailleuse enceinte ou qui allaite doit remettre à son employeur un certificat médical attestant de la présence d’un ou de plusieurs dangers au travail pour elle-même, en raison de sa grossesse, pour l’enfant à naître ou pour l’enfant allaité. Ce certificat est émis par le médecin de la travailleuse, après consultation de la santé publique. Notons que l’avis de la santé publique ne lie pas le médecin traitant, qui peut identifier les dangers en toute autonomie.
Sur présentation du certificat, l’employeur doit retirer la travailleuse des tâches qui comportent les dangers identifiés. Il peut la réaffecter à un nouveau poste de travail et à de nouvelles tâches ne l’exposant pas à ces dangers. Si l’employeur n’est pas en mesure de réaffecter la travailleuse à des tâches exemptes de danger, celle-ci devra cesser le travail. Elle recevra alors des indemnités de remplacement du revenu de la CNÉSST équivalant à 90 % de son revenu net.
Le projet de loi prévoit des changements qui rendront plus difficile l’accès au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, en plus de porter atteinte à l’autonomie de pratique des médecins traitants.
La réforme prévoit en effet que le directeur national de santé publique doit élaborer, avant la fin de l’année 2021, des « protocoles » visant l’identification des dangers et les conditions de travail qui y sont associées pour l’exercice du droit au retrait préventif.
Le projet de loi prévoit en outre que ces protocoles seront élaborés sous l’étroit contrôle de la CNÉSST, qui communiquera ses besoins à la santé publique. On peut prévoir que la CNÉSST, avec son obsession du contrôle des coûts, utilisera ce contrôle sur l’élaboration des protocoles pour restreindre autant que possible les motifs qui y figureront pour justifier un retrait préventif. De plus, nous n’avons aucune idée du type de critères qui seront contenus dans ces protocoles.
Soulignons que toute liste de dangers prévus à l’avance est nécessairement limitée. Les protocoles ne pourront prévoir tous les dangers pouvant apparaître dans un milieu de travail. Par exemple, avant l’actuelle pandémie, la Covid-19 n’aurait certainement pas été identifiée comme un danger au travail par un protocole de la santé publique. D’ailleurs, près d’un an après le début de la pandémie, la santé publique n’a toujours pas publié de guide ou d’avis à ce sujet. Le virus n’en justifie pas moins le retrait préventif de plusieurs travailleuses enceintes.
Les changements au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite doivent entrer en vigueur le 1er janvier 2022, une fois que les protocoles auraient été élaborés par la santé publique. À partir de ce moment, ce n’est que si le danger est identifié par un protocole que le médecin traitant pourra émettre directement le certificat donnant droit au retrait préventif.
Si au contraire le danger identifié ne figure pas dans un tel protocole, le certificat ne pourra être émis qu’après consultation du médecin chargé de la santé au travail dans l’entreprise, ou par la santé publique en l’absence d’un tel médecin. Or, deux autres changements à la Loi auront un impact majeur sur le retrait préventif.
D’abord, le projet de loi prévoit que ce sera dorénavant l’employeur qui choisira le médecin chargé de la santé au travail. Dans la Loi actuelle, ce sont les comités paritaires de santé et de sécurité qui font ce choix.
On peut donc raisonnablement douter de l’ouverture d’esprit dont fera preuve ce médecin pour reconnaître des dangers au travail qui n’auraient pas été identifiés au préalable par les protocoles de la santé publique...
Ensuite, il n’y a actuellement qu’environ 15 % des travailleuses et travailleurs qui sont couverts par un programme de santé et donc par un médecin chargé de la santé au travail dans l’entreprise. Comme les secteurs actuellement couverts touchent principalement des secteurs à prédominance masculine, la réalité fait en sorte que ce sont actuellement presqu’exclusivement des médecins de la santé publique qui sont consultés pour les retraits préventifs.
Cependant, comme il est prévu par le projet de loi que 94 % des travailleuses et travailleurs seraient dorénavant couverts par un programme de santé, les médecins chargés de la santé au travail (choisis par les employeurs) remplaceraient dans la vaste majorité des milieux de travail les médecins de la santé publique.
Ainsi, les employeurs auraient un plus grand contrôle sur l’autorisation du retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite.
On se retrouvera donc, avec le projet de loi, avec une liste de dangers au travail prévue par des protocoles élaborés par la santé publique suivant les commandes de la CNÉSST. Pour un danger non prévu par ces protocoles, il deviendra plus difficile pour une travailleuse enceinte ou qui allaite de se prévaloir du droit au retrait préventif.
Il s’agit d’un recul du rôle prépondérant du médecin traitant, dont l’autonomie de pratique est remise en question par la réforme. Surtout, c’est une attaque aux droits des travailleuses qui doit être dénoncée.
Le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite est un acquis important pour les travailleuses du Québec. Il mérite d’être défendu. Le ministre doit comprendre qu’il ne doit pas y toucher!
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