Enjeux-SST

Bulletin n° 15

Un projet de loi aux effets sexistes

De nombreuses attaques aux droits des travailleuses

Si le projet de loi n° 59 prévoit d’importants reculs aux droits des travailleuses et des travailleurs dans leur ensemble, il n’affectera pas d’égale manière les femmes et les hommes. En effet, plusieurs éléments de la réforme auront des impacts beaucoup plus importants pour les travailleuses. Force est de constater que nous faisons face à un projet de loi sexiste.

On retrouve en effet dans le projet de loi, parmi les modifications prévues tant au régime de prévention qu’au régime de réparation des lésions professionnelles, des dispositions qui affecteront spécifiquement les travailleuses.

Depuis le dépôt du projet de loi, de nombreux intervenants dénoncent d’ailleurs le sexisme du projet de loi et l’absence d’analyse différenciée selon le sexe (ADS) avant son dépôt. Plusieurs revendiquent la production d’une telle analyse avant d’aller plus loin dans le processus d’adoption de la réforme.

Les milieux à prédominance féminine classés à risque « faible »

Un des enjeux de la réforme, qui concerne le régime de prévention, consiste à étendre l’application des mécanismes prévus par la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST). Certains mécanismes de ladite loi, actuellement réservés à certains secteurs d’activité, s’appliqueront désormais à toute entreprise employant 20 salariés ou plus. S’il s’agit d’une avancée, notons que la réforme affaiblit cependant ces mécanismes, augmente le pouvoir des employeurs en santé et sécurité du travail et réduit le temps alloué à la prévention des lésions professionnelles.

Le projet de loi introduit notamment la nouvelle notion de « niveaux de risques » pour classer les entreprises. Selon un calcul basé sur le coût des accidents et maladies du travail (mais qui exclut spécifiquement le coût des retraits préventifs et donc, les risques du travail associés à la grossesse), les entreprises seront catégorisées à risque « faible », « moyen » ou « élevé ». Ce classement aura un impact direct sur le temps de libération pour faire de la prévention.

Or, des secteurs à prédominance féminine, comme la santé ou l’éducation, sont classés selon ce calcul dans la catégorie de « risque faible ». La pandémie a pourtant bien montré combien bon nombre de ces emplois présentent des risques réels pour la santé.

En tout, 72 % des travailleuses se retrouvent dans de tels secteurs dont le risque est qualifié de « faible ». Dans ces secteurs, le temps de libération sera totalement insuffisant pour permettre une action efficace en prévention.

Des obstacles au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite

La réforme introduit par ailleurs des obstacles à l’exercice d’un droit spécifique aux femmes, soit le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite. Actuellement, c’est le médecin traitant de la travailleuse qui, après avoir consulté la Santé publique, identifie les dangers au travail et produit le certificat pour autoriser un retrait préventif.

Le projet de loi prévoit d’abord que la Santé publique devra élaborer, avant la fin de 2021, des « protocoles » identifiant les dangers au travail pour les travailleuses enceintes ou qui allaitent. Notons que ces protocoles seront élaborés sous l’étroit contrôle de la CNÉSST à qui la Santé publique devra rendre des comptes.

Par la suite, le médecin traitant d’une travailleuse enceinte ou qui allaite ne pourra émettre directement un certificat pour le retrait préventif d’une travailleuse enceinte ou qui allaite que si le danger identifié se retrouve dans un de ces protocoles.

Pour un danger qui ne figure pas dans un protocole, un médecin « chargé de la santé au travail » dans l’entreprise devra désormais être consulté. Or, la réforme prévoit que c’est l’employeur qui désignera ce médecin. Que le médecin de compagnie ait dorénavant son mot à dire, c’est évidemment d’un recul majeur pour le droit au retrait préventif des travailleuses enceintes ou qui allaitent.

La liste des maladies professionnelles

Le projet de loi prévoit aussi le remplacement de la liste des maladies présumées professionnelles incluse dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) par une nouvelle liste qui figurera dans un règlement. Cette nouvelle liste prévoit des conditions particulières pour plusieurs maladies qui rendront leur reconnaissance plus difficile.

Parmi ces maladies dont la reconnaissance deviendra plus difficile, notons les « troubles musculo-squelettiques », plus spécifiquement les tendinites, bursites et ténosynovites. Avec la réforme, au moins 50 % du temps travaillé devra consister à répéter le même mouvement ou la même séquence de mouvements ou de pressions pour que la victime bénéficie de la présomption facilitant la reconnaissance de sa maladie du travail.

Cette nouvelle condition affectera surtout des femmes puisqu’elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes à subir de telles lésions.

Soulignons aussi que parmi les rares ajouts à la liste des maladies, on trouve certains cancers professionnels dont sont spécifiquement victimes les pompiers, ce dont très peu de femmes bénéficieront. La nouvelle liste prévoit d’ailleurs spécifiquement le cancer de la prostate, mais reste muette sur le cancer du sein.

La discrimination des travailleuses domestiques maintenue

Notons également que le projet de loi maintient une disposition discriminatoire à l’égard des travailleuses domestiques, une catégorie composée presque exclusivement de femmes. Elles sont en effet exclues du régime de réparation des lésions professionnelles par un article de la Loi, ce que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a jugé discriminatoire, notamment sur la base du sexe. Or, la réforme maintient une discrimination en imposant un seuil d’heures de travail minimal pour que des travailleuses domestiques soient couvertes en cas d’accident ou de maladie du travail, ce qui n’existe pour aucune autre catégorie de travailleuse ou de travailleur.

De plus, les travailleuses domestiques qui seraient couvertes par le régime suite à l’adoption du projet de loi se verraient privées du droit de retour au travail dont bénéficient les autres travailleuses et travailleurs. En raison de cette mesure discriminatoire, une travailleuse domestique perdant son emploi à cause de sa lésion professionnelle n’aurait ni recours ni compensation.

Non aux reculs des droits des femmes

On le constate, le projet de loi n° 59 aura des impacts discriminatoires pour les femmes. Que ce soit par la catégorisation des niveaux de risques, par l’attaque au droit de retrait préventif pour la travailleuse enceinte ou qui allaite, par les changements à la liste des maladies et par la discrimination à l’égard des travailleuses domestiques, on doit conclure qu’on fait face à un projet de loi sexiste.

Si une analyse différenciée selon le sexe (ADS) avait été produite avant le dépôt du projet de loi, ces impacts discriminatoires auraient pu être identifiés et prévenus. Malheureusement, ça n’a pas été le cas.

Il est inacceptable qu’un projet de loi discriminatoire envers les femmes ait été déposé en 2020, au Québec. À présent, il faut faire comprendre au ministre qu’en 2021, un tel sexisme ne passe pas!

 

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