Le mot pesticide évoque chez ceux qui l’entendent la notion de produit chimique toxique. Et il est vrai que les pesticides sont des produits dont l’objectif est de tuer des organismes nuisibles. Les propriétés de ces substances peuvent toutefois avoir aussi des effets sur la santé humaine, notamment celle des travailleuses et des travailleurs.
On associe souvent l’exposition aux pesticides au développement de problèmes comme l’irritation des yeux ou de la peau ou encore à des problèmes liés à leurs effets neurotoxiques (changement d’humeur, pertes de mémoire, difficultés de concentration, etc.).
Récemment, on a aussi beaucoup entendu parler des milliers de poursuites judiciaires contre la compagnie Bayer (propriétaire de Monsanto) par des personnes atteintes d’une forme de cancer, soit le lymphome non-Hodgkinien, à la suite de l’utilisation pendant des années du pesticide Roundup qui contient du glyphosate. Des jurys aux États-Unis ont attribué des montants très élevés à des personnes atteintes de cette forme de cancer. On a aussi assisté au dépôt de plusieurs recours collectifs au Canada concernant ce même produit.
Il existe toutefois une autre maladie causée par une exposition à long terme aux pesticides dont on entend moins parler et c’est la maladie de Parkinson. Un dossier paru récemment dans le journal La Presse1, qui a eu des échos jusqu’à l’Assemblée nationale2, lève le voile sur ce risque peu connu au Québec. Le présent article vise à examiner cette question d’un peu plus près.
Tout d’abord, il faut comprendre ce qu’est la maladie de Parkinson. Le site Parkinson Canada la décrit comme une maladie neurodégénérative, c’est-à-dire qu’elle s’attaque au système nerveux du corps. Plus précisément, elle s’attaque aux cellules qui produisent la dopamine qui est produite par le corps pour faire voyager des signaux entre les neurones (des cellules nerveuses qui constituent l’unité fonctionnelle de base du système nerveux) et le cerveau3.
Au Canada, la maladie de Parkinson est le trouble neurodégénératif venant au deuxième rang en termes de fréquence, après la maladie d’Alzheimer.
Les symptômes de la maladie de Parkinson apparaissent lorsque les cellules qui produisent la dopamine meurent. Le symptôme le plus connu en lien avec la maladie de Parkinson est le tremblement involontaire des membres supérieurs. D’autres symptômes sont des problèmes d’équilibre et une rigidité musculaire. Occasionnellement, d’autres symptômes comme la fatigue, l’élocution lente, une posture voutée, la constipation et des troubles du sommeil peuvent apparaître.
Il n’y a pas de guérison pour cette maladie, mais certains traitements peuvent en atténuer les symptômes (médicaments, physiothérapie, ergothérapie, orthophonie et parfois une intervention chirurgicale).
Enfin, à la longue, d’autres symptômes qui ne sont pas en lien avec le mouvement, comme la dépression et les problèmes sexuels et cognitifs, peuvent aussi se présenter.
Il est bien connu que certains agents trouvés dans l’environnement peuvent causer la maladie de Parkinson. Par exemple, une exposition au manganèse, un métal toxique, est reconnue comme cause de la maladie et certaines décisions des tribunaux administratifs au Québec ont reconnu ce lien causal pour des travailleuses et des travailleurs. Dans un cas, on a même appliqué la présomption de maladie professionnelle prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) en considérant la maladie de Parkinson comme une forme d’intoxication au manganèse (l’intoxication au manganèse étant inscrite dans la liste des maladies professionnelles à l’annexe I de la loi).
Il faut savoir que le rôle des pesticides est dorénavant bien établi comme cause de la maladie. Dans leur article publié en 2014, Liew et collègues affirment que le risque de développer la maladie de Parkinson est plus de deux fois plus élevé chez les hommes avec une forte exposition professionnelle aux pesticides (arrosage et manutention directe). Contrairement à d’autres études avant la leur, ces auteurs ont évalué l’exposition aux pesticides de façon objective, ce qui augmente la crédibilité de leur étude4. Ils ont en effet évalué concrètement eux-mêmes cette exposition à partir d’une procédure validée plutôt que de demander aux participants de l’étude d’évaluer leur propre exposition.
Il est intéressant de noter que le 4 mai 2012, la France a officiellement reconnu le lien entre la maladie de Parkinson et une exposition aux pesticides en inscrivant cette maladie à la liste des maladies professionnelles de leur régime agricole d’indemnisation des lésions professionnelles.
Puisqu’il n’existe pas de remède pour guérir cette maladie et vu l’ampleur des symptômes, on comprend facilement l’importance de la prévention.
Les facteurs génétiques et environnementaux jouent un rôle dans le développement de la maladie. Lorsqu’un agent présent dans le milieu de travail est reconnu comme cause de la maladie, il est essentiel d’agir au niveau de l’environnement de travail pour éviter l’apparition de la maladie chez les travailleuses et les travailleurs exposés.
Le moyen préventif le plus efficace est toujours de remplacer des produits nocifs par d’autres produits moins nocifs ou en modifiant les procédés. Dans le cas des pesticides, on peut vérifier s’il existe d’autres moyens non nocifs pour contrôler les organismes nuisibles, comme des prédateurs naturels5. Si non, une consultation des fiches de données de sécurité (requis par le SIMDUT ou Système d’information sur les produits dangereux utilisés au travail) ou du répertoire toxicologique de la CNÉSST peut permettre de savoir si un pesticide utilisé pourrait causer la maladie de Parkinson. Si tel est le cas, il faut le remplacer par un autre pesticide ou procédé.
Il faut compléter ces moyens de prévention avec d’autres. Pour les milieux de travail où sont produits les pesticides, il faut avoir des systèmes d’aspiration des émanations à la source pour éviter que les pesticides entrent dans la zone respiratoire des travailleuses et des travailleurs. Un système de ventilation générale est également essentiel. Le Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST) prévoit des taux minimaux de changements d’air à l’heure selon le type de production. Le RSST ne prévoit rien de précis pour les usines de production de pesticides, mais pour l’industrie chimique, ce règlement exige entre 2 et 4 changements d’air frais à l’heure, ce qui veut dire que l’air de l’usine est remplacé avec de l’air frais de l’extérieur à toutes les 15 à 30 minutes.
Pour l’application des pesticides à l’extérieur, il n’est pas possible de prévoir de système de ventilation; il faut donc que ceux et celles qui arrosent avec ces produits portent des équipements de protection personnels (vêtements, lunettes, masques et même des gants, car les pesticides irritent la peau et peuvent être absorbés par elle également).
Enfin, comme c’est le cas avec plusieurs autres maladies professionnelles, une meilleure reconnaissance de la maladie de Parkinson causée par une exposition aux pesticides inciterait la CNÉSST et les employeurs à mettre de l’avant des moyens de prévention efficaces afin de diminuer le coût relié à l’indemnisation de ces maladies.
Un bon point de départ pour ce faire serait de mettre à jour la liste des maladies professionnelles incluse dans la loi (la LATMP) pour y inscrire la maladie de Parkinson (et d’autres maladies) en lien avec une exposition aux pesticides.
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1 Pesticides : « Ils nous disaient que ce n’était pas dangereux » , La Presse, 15-06-2019.
2 Pesticides : Québec veut revoir la liste des maladies professionnelles , La Presse, 15-06-2019.
3 Parkinson Canada, Comprendre la maladie de Parkinson .
4 Liew, Wang, Bronstein et Ritz, Job Exposure Matrix (JEM) - Derived Estimates of Lifetime Occupational Pesticide Exposure and the Risk of Parkinson’s Disease , Archives of Environmental and Occupational Health, Vol. 69, pp. 241-251, 2014 (en anglais).
5 Agriculture, Pêcheries et Alimentation Québec, Lutte biologique en serre : à l’attaque! .
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Norman King est détenteur d'une Maîtrise ès sciences en Épidémiologie.