Nous connaissons tous l’odeur d’un plancher de bois fraîchement verni ou d’une salle de bain fraîchement peinte avec une peinture à l’huile. Cette odeur provient des solvants utilisés pour la fabrication du vernis ou de la peinture et qui s’évaporent dans l’air après l’application du produit.
Peu de temps après avoir senti cette odeur et donc, suite à l’exposition aux vapeurs de solvant, les yeux commencent à piquer et on ressent une irritation du nez et de la gorge. En restant plus longtemps dans la pièce, on peut développer un mal de tête. Ce sont les premiers symptômes d’une intoxication aux vapeurs de solvant, qui ont des propriétés neurotoxiques. En quittant la pièce et en cessant l’exposition, les symptômes disparaîtront sans problème.
La situation est tout autre pour les travailleuses et les travailleurs exposés quotidiennement à ces produits dans le cadre de leur travail. En effet, plusieurs agents chimiques sont reconnus pour leurs propriétés neurotoxiques, c’est-à-dire qu’ils peuvent porter atteinte à la structure du système nerveux ou altérer son fonctionnement de manière permanente suite à une exposition prolongée.
Le système nerveux contrôle l’ensemble des fonctions physiques ainsi que les processus mental, intellectuel et émotionnel chez l’être humain. Ce système se compose de deux parties :
Pour les fins du présent texte, je me concentrerai sur les problèmes causés au système nerveux central.
Les principales catégories d’agents chimiques reconnus pour leurs effets neurotoxiques sur le système nerveux central sont :
Les produits neurotoxiques peuvent exercer leurs effets peu de temps après une exposition importante (effet aigu) ou encore à moyen ou à long terme suite à une exposition plus faible, mais répétée sur une période de temps prolongée (effet chronique).
Il est important de comprendre que les produits neurotoxiques peuvent avoir des effets permanents. Une des raisons qui peut l’expliquer est le fait que les neurones (les cellules du système nerveux) ne peuvent pas se régénérer une fois tuées par une exposition chimique.
Le terme médical pour désigner une atteinte au système nerveux central est « encéphalopathie toxique » (aiguë ou chronique).
Les symptômes d’une encéphalopathie toxique aiguë sont le mal de tête, des étourdissements et de la confusion, soit une sensation semblable à une consommation trop forte d’alcool. En principe, les effets aigus sont réversibles, mais ils peuvent rendre les gens atteints plus vulnérables aux produits neurotoxiques lors d’expositions répétées.
Une encéphalopathie toxique chronique est caractérisée par plusieurs manifestations : perte de mémoire, difficultés de concentration, changements d’humeur (anxiété, dépression, irritabilité), fatigue, difficultés de sommeil et perte de libido. Une telle maladie peut donc perturber de façon majeure la vie de la personne atteinte, ainsi que celle de son entourage.
Étant donné que l’apparition initiale des manifestations cliniques de cette maladie peut être graduelle et que ces manifestations peuvent disparaître pendant les périodes de congé, il faut parfois du temps avant qu’une personne atteinte décide de consulter un médecin. Il est pourtant très important de procéder à une telle consultation le plus rapidement possible car les manifestations décrites précédemment peuvent devenir permanentes si l’exposition se poursuit dans le temps.
La famille de la travailleuse ou du travailleur peut aussi aider le médecin à poser son diagnostic car c’est souvent l’entourage de la personne atteinte qui remarque l’apparition des changements dans le comportement et le fonctionnement de celle-ci.
Un autre outil pour aider le médecin à poser son diagnostic est l’examen neuropsychologique. Le neuropsychologue est en général un psychologue qui pratique une série prolongée de tests raffinés et plus ou moins complexes permettant de vérifier les différents réseaux fonctionnels du cerveau. Cette expertise est donc un outil essentiel pour compléter le portrait réel des séquelles au niveau du cerveau suite à l’exposition aux produits neurotoxiques.
Il est clair que le nombre de dossiers d’encéphalopathie toxique (ou intoxication) acceptés par la CNÉSST à titre de maladies professionnelles ne représente pas la situation réelle. Un sondage effectué auprès des travailleuses et des travailleurs québécois en 2011 estime que 9% d’entre eux seraient exposés aux vapeurs de solvants (EQCOTESST, 2011)1. Autrement dit, environ 300 000 travailleuses et travailleurs seraient exposés à de telles vapeurs au Québec. Pourtant, la CNÉSST n’a reconnu que trois cas d’intoxication en 2014.
En terminant, il est important de mentionner que le diagnostic n'a pas besoin de mentionner le mot « intoxication » pour permettre l'application de la présomption prévue par l'article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. En effet, même si les maladies énumérées à la section I de la loi sont des « intoxications », la loi ne définit pas ce terme. Selon la jurisprudence, il est possible de conclure à la présence d'une intoxication, au sens de l'annexe I de la loi, lorsque « l'exposition à la substance toxique a été suffisante pour être la cause plausible de la maladie diagnostiquée » (Clavet et Nettoyeur Marseille 2). Une travailleuse ou un travailleur à qui on diagnostique une encéphalopathie toxique peut donc bénéficier de la présomption si cette personne démontre qu'elle a été exposée à un produit pouvant occasionner ce problème de santé.
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1 Vézina, M., E. Cloutier, S. Stock, K. Lippel, É. Fortin et autres (2011). Enquête québécoise sur des conditions de travail, d'emploi et de SST (EQCOTESST), Québec, IRSST, INSPQ et ISQ.
2 Clavet et Nettoyeur Marseille, TAT, 27 juillet 2016.
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Norman King est détenteur d’une Maîtrise ès sciences en Épidémiologie.