Il n’est jamais facile de faire reconnaître une maladie du travail par la CSST, mais quand on souffre d’une maladie énumérée à l’annexe I de la loi, la preuve à établir peut être facilitée.
En effet, la victime d’une maladie énumérée à l’annexe I de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi) est présumée atteinte d’une maladie professionnelle si elle a exercé un travail correspondant à cette maladie d’après l’annexe. Malheureusement, la liste de l’annexe I n’a pas changé depuis l’entrée en vigueur de la loi en 1985. Pourtant, une multitude de recherches scientifiques publiées depuis démontrent clairement un lien causal entre certaines conditions de travail et certaines maladies qui ne sont pas à l’annexe. Le cas du cancer pulmonaire causé par la poussière de silice illustre bien l’urgence d’une mise à jour de cette liste des maladies professionnelles.
La silice cristalline se trouve sous trois formes différentes (quartz, cristobalite et tridymite), dont la plus commune est le quartz. Les travailleuse et les travailleurs exerçant plusieurs métiers sont exposés aux poussières de silice cristalline : les mineurs et travailleurs de carrière (la silice est contenue dans les roches), les travailleurs de la construction (ex. : ceux qui font du sablage au jet), les travailleurs de fonderie, les travailleurs dans l’industrie de la fabrication de produits métalliques, de produits de vitre, de produits de céramiques, etc.1
Dans les années 1990, les connaissances scientifiques sur la relation entre l’exposition aux poussières de silice cristalline et le développement d’un cancer pulmonaire ont évolué de façon importante. Avant cette date, cette relation n’avait pas été démontrée de façon convaincante. D'ailleurs, avant 1995, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (CALP) refusait systématiquement les réclamations des travailleurs atteints de cancer pulmonaire exposés à la silice. En raison de preuves scientifiques qui ont évolué, la tendance a changé depuis 1995 et la CALP a commencé à reconnaître les réclamations pour cancer pulmonaire chez les travailleurs atteints de silicose (une fibrose pulmonaire débilitante causée par une exposition prolongée aux poussières de silice cristalline).
Aujourd'hui, la CLP (et même la CSST) reconnaissent généralement les cancers pulmonaires chez les travailleurs atteints de silicose. Par contre, ceci n’est habituellement pas le cas pour les travailleurs exposés à la silice mais qui n’ont pas développé de silicose.
Qu’en est-il du point de vue scientifique? Est-ce qu’une exposition à la poussière de silice cristalline, sans développement d’une silicose, peut causer un cancer pulmonaire (comme c’est le cas pour l’amiante)?
En 1997, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a publié sa monographie sur la silice et d’autres agents. Après avoir passé en revue une multitude d’études disponibles à l’époque et en tenant compte de questions méthodologiques (tabagisme, autres expositions en milieu de travail, etc.), le CIRC a conclu que la silice cristalline inhalée sous forme de quartz ou cristobalite venant de sources occupationnelles est cancérigène pour l’humain1. En 2009, le CIRC a publié une autre monographie sur plusieurs agents et il conclut de nouveau que la silice cristalline sous la forme de quartz ou cristobalite cause le cancer du poumon2.
Une analyse de toutes les études publiées depuis l’évaluation initiale du CIRC dépasse le cadre du présent texte, mais trois documents méritent d’être présentés brièvement.
L’IRSST a procédé à une revue systématique de la littérature épidémiologique concernant la silicose, la silice et le cancer pulmonaire en 20053. Les auteurs ont conclu que « l’exposition professionnelle à la silice représente un faible facteur de risque pour le cancer du poumon à des taux d’exposition élevés ».
Deux études récentes ajoutent un éclairage additionnel sur cette relation causale entre l’exposition aux poussières de silice et le cancer pulmonaire.
Une étude publiée en 2010 et effectuée à Montréal a comparé des gens atteints de cancer pulmonaire aux gens non atteints (étude cas-témoin) pour vérifier le risque occasionné par l’exposition à la silice. Les auteurs ont estimé le niveau d’exposition et ont tenu compte de variables confondantes qui auraient pu influencer leurs résultats (tabagisme, exposition à d’autres agents cancérigènes, etc.). Les auteurs ont observé un excès de risque de cancer pulmonaire chez les travailleurs exposés à la silice cristalline. Ce risque est plus élevé pour les travailleurs fortement exposés (ce qui correspond à la notion de base que l’on appelle dose-réponse), mais le fait que le risque existe pour une grande variété de contextes d’exposition amènent les auteurs à conclure que le fardeau du cancer causé par la silice pourrait être plus élevé qu’estimé auparavant par d’autres études4.
Une autre étude publiée en 2013 a suivi 34 000 travailleurs pendant 44 ans (étude de cohorte), ce qui permet de faire une analyse statistique très puissante. Les auteurs ont également évalué le niveau d’exposition à la silice et tenu compte de variables confondantes dans leur analyse. Ils ont observé un excès de risque de développer le cancer pulmonaire chez les travailleurs exposés à la silice (le risque augmente avec la dose d’exposition dans cette étude également). Les auteurs précisent que cette relation dose-réponse a été observée en l’absence de silicose, ce qui les amène à conclure que la présence de silicose n’est pas un prérequis pour le développement d’un cancer pulmonaire causé par une exposition à la silice5.
Depuis une vingtaine d’années, il est reconnu que les travailleurs atteints de silicose sont plus à risque de développer un cancer pulmonaire. Les études plus récentes nous permettent d’aller plus loin pour conclure que l’exposition aux poussières de silice cristalline, sans développement d’une silicose, constitue un facteur de risque pour le développement d’un cancer pulmonaire.
Il est donc grand temps que l’annexe I de la loi soit mise à jour pour tenir compte de l’évolution des connaissances scientifiques. Le dossier du cancer pulmonaire causé par l’exposition à la silice cristalline présentée ici n’est qu’un exemple qui illustre l’importance d'agir.
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1 CIRC, IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans. Silica, Some Silicates, Coal Dust and Para-Amid Fibrils, Volume 68, 1997.
2 CIRC, IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans; Arsenic, Metals, Fibres and Dusts. A review of Human Carcinogens, Volume 100c, 2009.
3 Yves Lacasse et coll., Silicose, silice et cancer du poumon: méta-analyse de la littérature. Études et recherches IRSST, 2005.
4 S. Vida et coll., Occupational Exposure to Silica and Lung Cancer : Pooled Analysis of Two Case-Control Studies in Montreal, Canada, Cancer Epidemio Biomarkers Prevention, Vol 19 (6), 2010, pp : 1602-1611.
5 Y. Liu et coll., Exposute-Response Analysis and Risk Assessment for Lung Cancer in Relationship to Silica Exposure: a 44-Year Cohort Study of 34,018 workers, American J of Epidemiology, Vol. 178 (9), 2013, pp: 1424-1433.
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Norman King est détenteur d'une Maîtrise ès sciences en Épidémiologie.