Chronique MT
Maladies du travail en bref
Mars 2014
Chronique MT

Les maladies du travail affectent-elles différemment les femmes et les hommes?

Karen Messing et Ève Laperrière

Au Québec, l’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi, et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST) 1 a montré que les femmes et les hommes étaient généralement assujettis à des conditions de travail très différentes. À quelques exceptions près, on pourrait caricaturer ces différences en disant que les hommes étaient plus exposés aux risques physiques visibles (efforts, bruit…) et les femmes, aux risques organisationnels (manque de pauses, autonomie limitée…).

Malheureusement, certains facteurs de risque physiques présents dans les postes traditionnellement féminins n’ont pas pu être mesurés par cette enquête (postures statiques, expositions à des agents biologiques, manipulations de corps humains). Dans cette enquête populationnelle, on ne peut donc pas comparer les femmes et les hommes dans un même poste de travail.

On sait que la même lésion peut être trouvée dans un poste de travail « féminin » et un poste « masculin », à cause d’expositions différentes. Par exemple, un soudeur ou une préposée au service alimentaire peuvent développer un trouble musculo-squelettique (TMS). L’un manipule des outils avec force dans des postures incommodes, la seconde effectue des mouvements des poignets hautement répétitifs pour brasser et verser du liquide dans des verres. Même résultat : syndrome de canal carpien! D’un autre côté, la littérature scientifique montre que les femmes dans les emplois à caractère physique exigeant éprouvent plus de TMS que les hommes travaillant à leurs côtés. Face à ces réalités, des questions se posent : font-ils (et elles) face aux mêmes attentes? Travaillent-elles (et ils) de la même manière?

Les chercheures du centre CINBIOSE ont constaté que ce qui paraît comme étant les mêmes conditions de travail n’a pas nécessairement les mêmes effets sur la santé des femmes et des hommes.

Prenons l’exemple du travail de serveuse de restaurant, métier traditionnellement féminin avec un fort taux de roulement. Du côté des données d’indemnisation, l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) a documenté le profil des lésions professionnelles indemnisées et de leur gravité chez les travailleurs de la restauration entre 2001 et 2004 2. Dans ce secteur, les lésions professionnelles touchent particulièrement les femmes, tant par leur fréquence que par leur gravité. Les auteurs concluent qu’afin de mieux orienter les actions en matière de prévention, il faudrait recueillir sur le terrain des informations détaillées sur le contexte et les conditions de travail. Soit.

Nous avons donc recueilli des informations sur le travail de serveuses de restaurant sur le terrain et par un questionnaire. Il semble que les maladies indemnisées ne soient que la pointe de l’iceberg. En effet, une seule participante sur 64 a été indemnisée, soit pour un accident. Pourtant, six serveurs sur 13 (46%) et 43 serveuses sur 51 (84%) rapportaient une douleur à au moins un site corporel qu’ils lient à leur travail. Les serveuses présentaient plus souvent des douleurs et sur plus de sites corporels. Quelques différences non liées statistiquement au type de restaurant ou à l’ancienneté ont été trouvées entre les serveurs et les serveuses et pourraient fournir un début d’explication. Effectivement, les serveuses effectuaient plus souvent toutes les étapes du service au client, sans l’aide de ses collègues. Les serveuses ont montré une tendance à effectuer plus fréquemment des tâches de ménage au cours de leur quart de travail. Aussi, bien qu’elles travaillaient comme serveuses pendant moins d’heures par semaine, elles occupaient plus souvent un deuxième emploi. Les serveurs étaient plus nombreux à utiliser souvent qu'une seule main pour transporter deux plats, peut-être à cause de la différence de force musculaire et de taille de la main.

Les hommes qui font le service en salle dans un restaurant faisaient 21 pas par minute alors que les femmes marchaient presque deux fois plus vite – 38 pas par minute. Les hommes se déplaçaient durant 15 % de leur temps de travail, les femmes, pendant 27 % de leur temps. La différence de vitesse provient d’une combinaison de sexe et de genre. Les pas des femmes étant plus courts, cela en prend plus pour couvrir la même distance. Cependant, la différence du nombre de pas par minute dans une situation contrôlée en laboratoire est bien moindre; les femmes ne marchent que 5 % plus vite 3. On peut donc faire l’hypothèse d’un effet du genre : les femmes se sentiraient plus interpellées par les besoins des clients ou alors les clients tolèrent moins de retard de la part des serveuses.

Un autre exemple peut illustrer ces différences dans l'activité de travail. Chez des aides-soignants dans deux centres hospitaliers où les femmes et les hommes étaient en principe affectés aux mêmes tâches depuis une dizaine d’années, les femmes faisaient 50 % plus d’opérations physiquement exigeantes à l’heure. Les infirmières leur ont demandé de les aider à faire une telle opération quatre fois plus souvent qu’aux hommes. Et pourtant, tout le personnel, homme et femme, disait croire que les hommes en faisaient plus et que la situation était « injuste » pour les hommes. Nous avons fait l’hypothèse que les femmes réagissaient à la perception généralisée de leur performance « inadéquate » en essayant de faire plus, au détriment de leur santé. En même temps, c’était vrai que les infirmières faisaient appel aux hommes lorsque les circonstances, très rares mais non-négligeables, exigeaient un effort physique extrême ou lorsqu’il y avait une menace de violence physique. Nous avons conclu que les stéréotypes sur les hommes et les femmes contribuaient à accroître la charge physique de travail - charge aigüe pour les hommes, surcharge chronique pour les femmes - et entravaient la prévention des maux de dos. Nous avons en effet constaté un excès de TMS dans cette population.

Comme on peut le voir, les maladies du travail peuvent donc affecter différemment les femmes et les hommes. Souvent, c’est parce qu’elles ne travaillent pas dans les mêmes secteurs et dans les mêmes emplois, mais même à l’intérieur d’un titre d’emploi identique, elles peuvent effectuer des tâches différentes. Pour effectuer une tâche, les travailleuses et les travailleurs ne démontrent pas nécessairement la même activité de travail, la même façon de faire. Les responsabilités hors du travail peuvent aussi être différentes. Finalement, les effets des mêmes expositions sur la santé peuvent être différents à cause des spécificités biologiques de chaque sexe.

Si l’on veut protéger la santé des femmes et des hommes au travail, il est donc important de s’occuper aussi de l’égalité homme/femme.

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Notes

1 Vézina, M., E. Cloutier, S. Stock, K. Lippel, É. Fortin et autres (2011), EQCOTESST, Enquête québécoise sur des conditions de travail, d'emploi de santé et de sécurité du travail, IRSST, INSPQ et ISQ.

2 Godin, J.F. et Massicotte, P. (2006), Profil statistique des lésions professionnelles et de leur gravité chez les travailleurs de la restauration, 2001-2004, IRSST.

3 Schwesig R et autres (2011), Inertial sensor based reference gait data for healthy subjects, Gait and Posture 33(4):673-8.

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Karen Messing et Ève Laperrière sont chercheures au Centre de recherche interdisciplinaire sur la biologie, la santé et l’environnement (CINBIOSE) de l’Université du Québec à Montréal.

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