Pénibilité du travail

Prendre en compte la pénibilité du travail pour que toutes et tous puissent mieux vivre

Quand le travail use précocement le corps humain

Dans la plupart des pays développés, vieillissement de la population, dénatalité, allongement de l’espérance de vie sont des réalités qui amènent les États à mettre de l’avant des propositions visant à repousser l’âge de la retraite.

Deux éléments principaux sont invoqués pour vouloir agir de cette façon : il faudrait que la population vieillissante demeure au travail plus longtemps afin de combler une pénurie de main-d’œuvre anticipée et il serait nécessaire d’allonger la période durant laquelle elle cotise, ce qui permettrait d’assurer la pérennité des régimes de retraite.

Parce qu’elle est une association de travailleuses et de travailleurs victimes d'accidents et de maladies du travail, souvent usés par le labeur d’une vie, l’uttam est particulièrement préoccupée par le fait que les débats entourant le report de l’âge de la retraite ne soient posés presqu’exclusivement en termes économiques et d’équité intergénérationnelle.

Nous pensons que le Québec, à l’instar de plusieurs pays dans le monde, devrait entamer une réflexion sur la question de la pénibilité du travail et de ses effets sur la santé des travailleuses et travailleurs.

En effet, cette question est centrale depuis un bon moment en Europe lorsqu’on traite de l’allongement de la vie au travail. Plusieurs études sur la question ont été publiées, des politiques adoptées, d’autres en voie de l’être et certains résultats sont déjà visibles dans divers pays.

La pénibilité du travail

Qui n’a pas, un jour ou l’autre, entendu une travailleuse ou un travailleur dire que son travail était difficile, éprouvant, épuisant, stressant ou encore pénible? Qui ne connaît pas une travailleuse ou un travailleur meurtri par son travail au point de devoir cesser d’occuper son emploi en raison d’une « usure » prématurée?

Le travail, quel qu’il soit, et ses conditions d’exercice peuvent revêtir un caractère pénible. On n'a qu'à penser aux rythmes de travail qui s’accélèrent sans cesse pour satisfaire des besoins de productivité ou à la précarisation de l’emploi qui amène de l’insécurité.

De nombreuses études ont été, et sont encore menées, partout dans le monde pour comprendre les effets sur la santé des différentes conditions d’exercice du travail. La très vaste majorité de ces études indiquent que l’état de santé et les conditions de travail sont d’importants facteurs pouvant expliquer le retrait du marché du travail précocement.

La notion de pénibilité est cependant fort complexe à définir et ne fait pas l’unanimité, même en Europe.

En effet, lorsqu’on parle de pénibilité du travail, on est dans un terrain qui mélange le subjectif (mon travail me fait souffrir) et l’objectif (manutention de charges lourdes, températures extrêmes). On parle du parcours professionnel de toute une vie qui peut varier énormément et où les facteurs de pénibilité peuvent se cumuler. On parle de perceptions : ce qui est pénible pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre. Finalement, on parle aussi d’effets sur la santé qui ne sont pas toujours visibles durant la période de vie active. Bref, les débats qui entourent cette notion sont nombreux et ne sont certainement pas terminés.

Cependant, on s’entend sur le fait que la notion de pénibilité repose sur une prémisse à l’effet qu'il existe des travailleuses et travailleurs qui sont exposés à des conditions de travail ayant des effets néfastes irréversibles sur leur santé et que, conséquemment, ils ne peuvent être traités, lorsqu'on aborde la question de la capacité de travail, de façon similaire à ceux qui n’y sont pas exposés.

Il y a deux façons d’intervenir sur la pénibilité du travail.

Premièrement, on peut accentuer les efforts de prévention des risques du travail, ce que certains nomment le développement de la « soutenabilité du travail ». En effet, en mettant en place des mesures de protection, on cherche à agir de manière préventive, en éliminant les facteurs de pénibilité, pour assurer la santé et la sécurité de toutes et tous tout au long du parcours professionnel.

C’est cette approche qui est privilégiée par les pays nordiques comme la Suède, le Danemark, la Finlande et les Pays-Bas.

Dans ces pays, ce sont les employeurs qui doivent prendre en compte la pénibilité vécue par les travailleuses et les travailleurs au cas à cas. Ils doivent, entre autres, aménager des postes de travail adaptés à chacun des employés, améliorer la formation et la mobilité des travailleuses et travailleurs exposés à des facteurs de pénibilité, reclasser ceux qui ont occupés pendant une longue période un métier pénible ou leur proposer du travail à temps partiel tout en continuant à cotiser pleinement aux caisses de retraite.

Le second mode d’intervention vise plutôt la compensation, par différentes mesures, des méfaits sur la santé des travailleuses et travailleurs des conditions de travail pénibles qui n’ont pu être prévenues.

C’est notamment le cas de la France qui est à mettre en place une disposition législative afin de créer un compte individuel de pénibilité. Cela permettrait à certaines travailleuses ou travailleurs de prendre leurs « points de pénibilité » pour partir plus tôt à la retraite (dans ce cas, la travailleuse ou le travailleur doit également avoir une incapacité permanente de 10% reconnue), pour suivre une formation afin de changer de métier, pour obtenir des journées de congé supplémentaires ou enfin pour travailler à temps partiel.

Les personnes qui pourraient bénéficier de ces mesures devraient avoir exercé des métiers qui sont liés à des contraintes physiques (manutention de charges, postures contraignantes, vibrations), à un rythme de travail fatiguant (travail de nuit, travail par quart, travail répétitif) ou à un environnement agressant (bruit, agents chimiques, milieu hyperbare, températures extrêmes).

Comme on le voit, définir la pénibilité du travail, la détecter et s’y attaquer n’est peut-être pas chose simple, mais si on ne fait rien, bon nombre de travailleuses et travailleurs se retrouveront inévitablement à faire des choix affectant leur santé et leurs conditions de subsistance.

Qu’en est-il de la pénibilité du travail au Québec?

Tant dans les débats en matière de prévention de la santé et de la sécurité des travailleuses et des travailleurs que lorsque l’on parle d’allongement de la vie active, il n’est jamais question de la pénibilité du travail au Québec. C’est un concept qui ne semble pas avoir traversé les océans, malgré les nombreux échanges avec l’Europe entre autres.

Pourtant, une étude similaire à celles qui ont mené à la prise en compte de la pénibilité du travail et au développement de mesures pour agir sur celle-ci en Europe a été publiée en septembre 2011 au Québec; il s’agit de l’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST) réalisée sous la gouverne de l’Institut de recherche Robert Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST), l’institut de recherche de la CSST.

Cette étude arrive à des résultats qui devraient nous faire réfléchir aux moyens à prendre pour améliorer les conditions de travail des Québécoises et Québécois.

En effet, on peut y lire, entre autres, que le quart des travailleuses et travailleurs sont soumis à au moins deux contraintes organisationnelles reconnues comme étant pathogènes (par exemple : latitude décisionnelle, impossibilité de prendre une pause ou de modifier la cadence ou la vitesse du travail, déséquilibre entre l’effort et la reconnaissance).

On y voit également que près de 25% des travailleuses et travailleurs et près de 50% des travailleuses et travailleurs manuels sont soumis à au moins quatre contraintes physiques (par exemple : efforts physiques, travail répétitif, postures contraignantes, manutention de charges lourdes, vibrations).

Ces deux seuls constats ne devraient-ils pas imposer une réflexion sur la prévention des risques au travail et l’amélioration des conditions de travail? Ces constats ne nous indiquent-ils pas que les conditions de travail sont pénibles, ici aussi, et qu’il faut en tenir compte lorsque l’on parle de l’allongement de la vie au travail?

Pourtant, la CSST, lorsqu’elle a rendu public son document sur la « modernisation » des régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles en octobre 2011, n’a aucunement fait référence aux résultats de cette étude qu’elle a pourtant en partie financée.

Au contraire, la CSST, tout en ne s’attaquant pas réellement à l’amélioration des conditions de travail, affirmait que les travailleuses et les travailleurs victimes d'un accident ou d'une maladie du travail devaient être retournés à leur emploi le plus rapidement possible « Parce que le Québec a besoin de tous ses travailleurs »afin de faire face à une pénurie éventuelle de main-d’œuvre.

Il en est de même pour le rapport d’Amours sur les régimes de retraite, dont le sous-titre était « Un contrat social pour renforcer la sécurité financière de tous les travailleurs québécois », publié en 2013, soit deux ans après que les résultats de l’ÉQCOTESST aient été rendus publics.

En effet, aucune mention que tous ne sont pas égaux devant la retraite, que l’état de santé détérioré par le travail pour certaines travailleuses et travailleurs signifie que la retraite ne se conjuguera pas de la même façon pour eux.

Il peut paraître curieux que, tout en ayant réalisé une vaste étude sur les conditions de travail et de santé des travailleuses et des travailleurs, personne ne parle de pénibilité du travail au Québec et qu’aucune politique ne semble vouloir tenir compte de ce fait.

Un élément de réponse se trouve peut-être dans le fait qu’une entreprise de propagande, pouvant s’apparenter au « lavage de cerveau », est en cours depuis de nombreuses années ici; il s’agit de la notion de chronicité.

En effet, les travailleuses et travailleurs qui ont subi des conditions de travail pénibles toute leur vie et qui, de ce fait, développent des lésions professionnelles plus graves peuvent développer également, après six mois selon la CSST, à cause de facteurs psycho-sociaux, cette étrange maladie. Au Québec, ce ne serait donc pas la pénibilité du travail qui empêche les travailleuses et les travailleurs de retourner à leur travail mais plutôt cette fameuse chronicité… (Note: pour en savoir plus sur la notion de «chronicité» à la CSST).

C’est ainsi qu’au Québec, le fardeau de la pénibilité du travail est porté exclusivement par la travailleuse ou le travailleur, qui en paie le prix durant une vie active pénible et au moment de l’âge de la retraite, si elle ou il peut se rendre jusque-là!

Le moment serait peut-être venu qu’en tant que société, nous nous rendions compte que si le travail peut être une source d’épanouissement, de valorisation et de socialisation, il peut également être à la source de nombreux problèmes de santé, tant physiques que psychiques, et qu’une société qui se respecte ne peut continuer à fermer les yeux sur la souffrance engendrée par le travail. À quand une législation sur la pénibilité du travail au Québec?

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