Ce texte a été écrit au printemps 2012. En raison du déclenchement des élections provinciales en 2012, le projet de loi n° 60 n'a pas été adopté et il est mort au feuilleton. Le texte qui suit est toutefois encore d'actualité en 2018 puisque le projet de « modernisation » fait toujours l'objet de discussions qui pourraient mener au dépôt d'un projet de loi tout aussi dévastateur.
La ministre du Travail, Lise Thériault, a déposé le 3 avril 2012 le projet de loi n° 60 (Loi visant principalement la modernisation du régime de santé et de sécurité du travail et son application aux domestiques). Ce projet de réforme, qui reprend bon nombre de revendications patronales, contient plusieurs reculs importants pour les travailleuses et travailleurs. En effet, tel que prévu, le projet de loi reprend en grande partie les controversées propositions de la CSST contenues dans le document La modernisation du régime de santé et de sécurité du travail 1, document lui-même largement inspiré par le non moins controversé rapport Camiré.2
Examinons brièvement les faits saillants de ce projet de réforme.
Si vous espérez retrouver dans ce projet de loi une quelconque satisfaction aux nombreuses revendications du mouvement ouvrier en regard des régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles, vous serez fort déçus.
Du côté de la réparation, par exemple, aucune maladie du travail n’est ajoutée à l’annexe des maladies professionnelles (qui n’a pas changé depuis plus de 25 ans), aucune mesure n’est prévue pour faciliter la reconnaissance des lésions professionnelles (notamment les lésions psychologiques ou les lésions de « processus »), aucune modification n’est amenée pour régler la sous-indemnisation (la pénalité automatique de 10% du revenu est maintenue, la non-contribution aux régimes de sécurité sociale est maintenue, la mesure de redressement d’impôt est maintenue), aucune modification ne prévoit la diminution du rôle du BÉM (au contraire, on renforce ses pouvoirs) ni l’abolition des pouvoirs de contestation des employeurs en matière médicale, aucune modification n’oblige la CSST en matière de réadaptation à offrir des formations reconnues dans des institutions d’enseignement reconnues plutôt que dans des écoles privées bidons, aucune mesure n’est prévue pour compenser justement l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, etc.
C’est également le cas du côté de la prévention. En effet, contrairement au discours qui a circulé dans les médias à l’effet que deux millions de travailleuses et de travailleurs additionnels seraient dorénavant couverts par les mécanismes de prévention et de participation prévus par la LSST, aucun des amendements proposés n’étend ces mécanismes de prévention et de participation à d’autres secteurs d’activité économique.
Plutôt que de modifier la loi afin d’obliger la couverture de tous les secteurs d’activité (ce qui peut facilement être fait en ne changeant que quelques mots dans la loi actuelle), la ministre du Travail a choisi d’accorder à la CSST un nouveau pouvoir réglementaire un peu tordu qui lui permettrait éventuellement de fixer des règles différentes que celles prévues par la loi actuelle (la CSST pourrait en quelque sorte « réécrire » la loi!). Donc il faudrait attendre de voir si la CSST réussi à faire adopter un tel règlement et surtout de voir quels seraient les mécanismes de prévention qui y seraient prévus et à qui ils s’appliqueraient. Quand on sait que ça fait plus de trente ans que la CSST ne réussi pas à adopter un règlement pour que tous les secteurs de l’activité économique soient couverts (à cause de l’utilisation du droit de véto des représentants patronaux siégeant au CA de la CSST) et quand on apprend que le projet de loi diminue l’influence syndicale au sein du CA de la CSST en enlevant un poste aux représentants syndicaux (six postes au lieu de sept), on se doit de demeurer légèrement sceptique face à cette belle annonce…
En fait, les deux seules « bonnes nouvelles » contenues dans ce projet de loi sont que le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite ne serait pas touché par la réforme (mais le patronat espère toujours pouvoir faire ajouter un amendement pendant l’étude du projet de loi) et que certaines travailleuses domestiques pourraient dorénavant bénéficier de certains droits en cas de lésions professionnelles. Mais ces deux éléments positifs à eux seuls ne peuvent faire le poids face aux nombreux reculs contenus dans ce projet de réforme.
En matière de réparation, les principales propositions de la ministre du Travail mettent de côté l’objectif de la loi, qui est la réparation des lésions professionnelles et leurs conséquences, afin de privilégier une réparation axée sur la réintégration au travail à tout prix.
Tel que dit précédemment, aucun des amendements proposés dans le projet de loi n’étend l’ensemble ou une partie des quatre mécanismes de prévention et de participation prévus à la LSST à d’autres secteurs d’activité que ceux présentement couverts et l’exclusion actuelle des chantiers de construction est maintenue. Un élargissement reste donc tributaire d’une éventuelle adoption d’un règlement fixant des règles différentes de celles que prévoit la loi actuelle relativement au programme de prévention, au comité de santé et sécurité et au représentant à la prévention (mais assez curieusement, on ne pourrait pas déroger aux nouvelles règles concernant l’élaboration et à la mise en application du programme et des services de santé placés dorénavant sous la responsabilité de l’employeur…).
Alors que la CSST s’engageait fermement, dans son document sur la « modernisation », à maintenir le statu quo pour les secteurs actuellement couverts, on découvre à la lecture du projet de loi que la ministre du Travail en a décidé autrement :
Il y a évidemment plusieurs des changements proposés dans le projet de loi n° 60 dont nous ne pouvons traiter dans ce bref survol, notamment parce que plusieurs de ces changements ne pourront se concrétiser que dans un avenir plus ou moins lointain. En effet, plutôt que d’inscrire directement dans la loi les changements législatifs supposément poursuivis, la ministre du Travail a décidé de déléguer à la CSST une foule de nouveaux pouvoirs réglementaires ou discrétionnaires. Ce n’est donc qu’une fois le projet de loi adopté que l’on pourra prendre connaissance de l’ampleur véritable de cette réforme, soit au moment où la CSST, grâce à ses nouveaux pouvoirs, mettra en œuvre l’ensemble des projets qu’elle poursuit, le tout sans débat public.
Que peut bien masquer ce flou artistique? Si tout le monde s’entend pour mettre sur pied un nouveau programme de réintégration au travail qui répondrait aux véritables besoins des travailleuses et des travailleurs (et non pas les pénaliser), pourquoi ne pas en définir le contenu, les objectifs et les conditions dans la loi? Si tout le monde s’entend pour que les quatre mécanismes de prévention et de participation prévus à la LSST s’appliquent à tous les secteurs d’activité économique, pourquoi ne pas amender quelques articles dès maintenant dans la loi actuelle?
En sommes, plutôt que d’énoncer les choses clairement et de mener les véritables débats, on nous demande de faire une grande profession de foi en faisant confiance à la CSST qui, si elle détenait de nouveaux pouvoirs démesurés, respecterait soudainement ses promesses. Si le passé est garant de l’avenir, n’est-ce pas trop nous demander?
L'adoption du projet de loi a été reportée à l'automne prochain. Une commission parlementaire sur invitation se tiendra d'ailleurs les 27, 28, 29 et 30 août prochain. Les 32 organisations et personnes qui ont été invitées semblent avoir été relativement bien « sélectionnées » puisque rares sont celles qui s'opposeront à cette réforme, bon nombre des organisations s'opposant au projet de loi et ayant demandé d'être entendues ont été laissées de côté. Cela laisse présager que la ministre du Travail désire se faire dire que son projet de loi représente un grand pas en avant.
Il faudra donc redoubler d'effort afin d'éviter que cette réforme soient adoptée telle quelle.
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1 CSST, La modernisation du régime de santé et de sécurité du travail 22 septembre 2011 (351 Ko)
2 CSST, Rapport Groupe de travail chargé de faire des recommandations concernant le régime québécois de santé et de sécurité du travail, décembre 2011 (600 Ko)
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Voir également :
La FTQ rejette le projet de loi 60 sur la modernisation du régime de santé et de sécurité du travail Communiqué, 25 avril 2012.
Est-ce la fin du projet de « modernisation » de la CSST? Analyse suite à la mort du projet de loi n° 60, Automne 2012.
La modernisation du régime de santé et de sécurité du travail Analyse des recommandations de la CSST, Automne 2011.
Le rapport Camiré : les aventures d'Ulysse au pays des merveilles? Analyse du rapport Camiré, Hiver 2011.