Ce texte a été écrit l'automne 2012. Il est toutefois encore d'actualité en 2018 puisque le projet de « modernisation » fait toujours l'objet de discussions qui pourraient mener au dépôt d'un projet de loi tout aussi dévastateur.
Le déclenchement des élections le 1er août 2012 a eu pour effet de faire mourir le très controversé projet de loi n° 60 visant à « moderniser » le régime de santé et de sécurité du travail. Bien que les travailleuses et les travailleurs puissent se réjouir de cette mort, il ne faudrait pas crier victoire trop vite car la CSST a toujours été d’une persévérance à toute épreuve…
Au printemps 2009, le ministre du Travail, David Whissell, annonçait la mise sur pied d’un groupe de travail afin de proposer une réforme des régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles.
Le président du groupe de travail, Viateur Camiré, remettait son rapport 1 le 15 décembre 2010 après 16 mois de travaux difficiles. À la lecture de ce rapport, on ne peut faire qu'un constat : les parties syndicales et patronales du groupe de travail n’avaient atteint aucun consensus. Malgré tout, M. Camiré proposait, à titre personnel, 32 recommandations, dont 28 reprenaient en tout ou en partie des positions patronales. Il n’est donc pas étonnant que le patronat ait accueilli le rapport très favorablement.
Sur la base du rapport Camiré, le Conseil d’administration de la CSST a donc entrepris des discussions au printemps 2011 afin d’en arriver à un consensus sur une éventuelle réforme. C’est en pleine période estivale, soit le 15 juillet 2011, que le CA de la CSST adoptait son controversé projet de « modernisation » 2 des régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles. C’est sur la base de ce « consensus » que la CSST espérait que la ministre du Travail dépose rapidement un projet de loi à l’automne 2011.
Heureusement, des fuites ont fait en sorte que le document de la CSST a été diffusé largement par l’uttam et que de nombreuses organisations ouvrières sont intervenues.
Voulant éviter l’adoption d’une réforme à toute vapeur, l’uttam lançait en octobre 2011 une campagne qui a permis l’envoi de plus de 30 000 courriers en seulement deux semaines aux députés québécois. Est-ce l’effet du hasard? Une semaine après le début de cette campagne, le Conseil du patronat faisait une sortie dans le journal Le Devoir demandant à la ministre du Travail de déposer le plus rapidement possible son projet de loi afin notamment de restreindre l’accès au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite. Les médias s’emparèrent de la chose et une polémique éclata, faisant en sorte que la ministre du Travail et le Premier ministre durent s’engager à ce que le retrait préventif ne soit pas touché par la réforme. Le projet de loi devait donc être modifié et il ne pu ainsi être déposé lors de la session d’automne.
Ce n’est que le 3 avril 2012 que la ministre du Travail, Lise Thériault, pu enfin déposer le projet de loi n° 60. La ministre souhaitait alors tenir une commission parlementaire au début mai et ainsi pouvoir faire adopter son projet de loi avant la fin de la session parlementaire. Heureusement, quelques grains de sable ont encore une fois enrayé l’engrenage…
En effet, les réactions publiques initiales assez mitigées des organisations syndicales et patronales siégeant au CA de la CSST masquaient d’importantes insatisfactions de part et d’autre. On peut notamment penser à la sortie publique de la FTQ le 25 avril dernier 3 à l’effet qu’elle s’opposait au projet de loi n° 60, qui laisse voir que, même au sein des organisations syndicales siégeant au CA de la CSST, le projet de loi suscitait des malaises importants.
Le déclenchement des élections a ainsi mis fin au débat, fort mal engagé, sur ce projet de loi. On doit donc se réjouir que tous ces petits grains de sable aient permis de ralentir le bolide piloté par la CSST, faisant en sorte qu’elle manque de temps pour se rendre à destination…
En théorie, l’élection d’un gouvernement du Parti québécois ne devrait pas amener de réforme des régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles puisque le programme électoral sur lequel il s’est fait élire ne comprend rien sur cette question. Le gouvernement n’a donc reçu aucun mandat de la population pour réformer ces régimes.
De plus, on doit le souligner, aucun des autres partis représentés à l’Assemblée nationale n’a reçu un tel mandat puisqu’aucun des programmes électoraux n’abordait ce sujet (ce qui démontre d’ailleurs la grande préoccupation de tous les partis politiques québécois face à la santé des travailleuses et des travailleurs). Même le Parti libéral du Québec, qui avait pourtant présenté le projet de loi n° 60 le printemps dernier, n’a pas jugé bon promettre de redéposer sa réforme s’il était réélu, étant probablement fort conscient qu’elle était loin de faire consensus.
Malheureusement, entre la théorie et la pratique, il y a souvent un monde. La CSST, qui n’a que faire de la démocratie, fera certainement des pieds et des mains pour ramener à l’avant plan une nouvelle mouture de son projet de « modernisation ». Pour ce faire, elle pourrait certainement compter sur l’appui du Parti libéral (qui a déposé le projet de loi n° 60 le printemps dernier) et de la Coalition avenir Québec, parti qui a un fort parti-pris en faveur du patronat. Le projet de « modernisation » de la CSST pourrait ainsi servir au gouvernement minoritaire du PQ de monnaie d’échange afin de faire accepter à l’opposition des priorités du Parti québécois touchant d’autres domaines.
Il faudra donc exercer une vigilance de tous les instants afin de faire en sorte que le projet de la CSST ne devienne réalité.
Dans l’éventualité où, faute d’avoir obtenu un mandat à cet effet de la population, le gouvernement du Parti québécois refusait d’aller de l’avant avec le projet de « modernisation » concocté par la CSST, doit-on s’attendre à ce qu’aucun changement ne soit proposé pendant le prochain mandat du gouvernement?
Ce n’est pas parce que le gouvernement actuel n’a pas de mandat pour réformer les régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles qu’il doive rester les bras croisés. Pour nous, le gouvernement a la possibilité d’entreprendre facilement quatre actions prioritaires.
Dans un premier temps, le gouvernement a toute la légitimité nécessaire pour mettre en œuvre les dispositions sur les mécanismes de prévention et de participation de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, adoptée en 1979, qui ne sont pas encore appliquées plus de trente ans plus tard.
Rappelons que cette loi fut l’objet d’un large débat public à l’époque. Le choix que la société québécoise avait fait alors était d’obliger le patronat à mettre en place, dans tous les établissements de plus de 20 employés, quatre mécanismes de prévention et de participation (comité paritaire, représentant à la prévention, programme de prévention et programme de santé pour chaque établissement). Comme il s’agissait de changements importants, la loi accordait à la CSST le pouvoir d’établir le calendrier d’implantation de ces mécanismes dans les différents secteurs d’activité économique. Toutefois, à cause d’une obstruction systématique du patronat au CA de la CSST depuis 1985, les mécanismes de prévention et de participation prévus à la loi ne s’appliquent toujours pas pour 85% des travailleuses et travailleurs.
L’Assemblée nationale pourrait donc, dès la prochaine session, mettre facilement fin au refus du patronat de respecter le choix démocratique fait il y a 30 ans en abrogeant le pouvoir de la CSST de fixer les échéances d’application des mécanismes de prévention et de participation et en fixant elle-même un échéancier d’application à tous les établissements de plus de 20 employés sans exception. Par exemple, il serait très réaliste, de l’aveu même de la CSST, de prévoir que tous les secteurs pourraient être couverts d’ici trois ans.
Deuxièmement, le gouvernement pourrait facilement adopter un décret afin que les dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, adoptées en 1979, concernant les mesures de prévention sur les chantiers de construction entrent enfin en vigueur. Est-il nécessaire de souligner que la construction est le secteur d’activité économique le plus meurtrier au Québec? Le gouvernement n’a même pas besoin de déposer un projet de loi puisque la loi a déjà été adoptée il y a 33 ans.
Troisièmement, le gouvernement se doit de mettre fin à plus de 100 ans de discrimination des travailleuses domestiques en abrogeant l’exclusion légale prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles afin que toutes les travailleuses, qui font du travail domestique leur profession, aient les mêmes droits que les autres travailleuses et travailleurs. Le gouvernement doit agir puisque la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a déclaré que la loi actuelle contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne et que toutes les lois du Québec doivent respecter la Charte.
Quatrièmement, ce n’est pas parce que le gouvernement du PQ n’a pas de mandat pour entreprendre une réforme que celui-ci doive rester immobile. En effet, les problèmes sont nombreux, particulièrement en matière de réparation des lésions professionnelles, et il est nécessaire de commencer aujourd’hui à penser comment on les réglera demain. Pensons, par exemple, qu’aucune nouvelle maladie du travail n’a été ajoutée à l’annexe des maladies professionnelles depuis plus de 25 ans et ce malgré les changements importants aux conditions de travail, aux difficultés concernant la reconnaissance de certaines lésions professionnelles (notamment les lésions psychologiques), à la sous-indemnisation importante des victimes d’accidents et de maladies du travail, au rôle controversé du Bureau d’évaluation médicale et à la nécessité d’abolir les pouvoirs de contestation des employeurs en matière médicale, etc. Ce sont là des problèmes importants qu’il faut corriger.
Il y a lieu d’entreprendre un large débat public afin de permettre à toutes les travailleuses et à tous les travailleurs, syndiqués et non-syndiqués, de donner leur point de vue sur ces importantes questions mais également aux familles des victimes de lésions professionnelles, aux médecins, aux autres professionnels de la santé, aux intervenants du réseau de la santé publique, etc.
Pour ce faire, le gouvernement pourrait déposer, comme il l’a déjà fait en 1978, un livre blanc permettant de débattre de l’ensemble des améliorations à apporter aux régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles. Il lui serait possible, par exemple, de le déposer avant la fin de la session parlementaire d’hiver 2013 et donner mandat à la Commission de l’économie et du travail de l’Assemblée nationale pour qu’elle tienne, pendant la session parlementaire de l’automne 2013, d’une consultation générale itinérante sur ce livre blanc avec la tenue de séances dans toutes les régions du Québec.
Ainsi, le gouvernement aurait par la suite tous les outils pour proposer à la population une réforme aux régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles.
Depuis 2008, la CSST travaille de façon acharnée pour réformer les régimes de prévention et de réparation des lésions professionnelles afin, notamment, de réduire ses coûts d’indemnisation, au détriment des droits des travailleuses et travailleurs victimes d’accidents et de maladies du travail.
Il reviendra à la nouvelle ministre du Travail, Agnès Maltais, de décider des orientations du nouveau gouvernement sur cet important dossier. Notre première tâche consistera donc à lui faire entendre raison.
Notre résistance a permis de faire en sorte que la CSST ne puisse, jusqu’à date, arriver à ses fins. Il ne faut surtout pas baisser les bras…
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1 CSST, Rapport Groupe de travail chargé de faire des recommandations concernant le régime québécois de santé et de sécurité du travail, décembre 2011 (600 Ko).
2 CSST, La modernisation du régime de santé et de sécurité du travail 22 septembre 2011 (351 Ko).
3 La FTQ rejette le projet de loi 60 sur la modernisation du régime de santé et de sécurité du travail Communiqué, 25 avril 2012.
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Voir également :
Un projet de loi résolument pro-patronal Analyse du projet de loi n° 60, Printemps 2012.
La modernisation du régime de santé et de sécurité du travail Analyse des recommandations de la CSST, Automne 2011.
Le rapport Camiré : les aventures d'Ulysse au pays des merveilles? Analyse du rapport Camiré, Hiver 2011.