Le Parlement canadien étudie actuellement un projet de loi (C-243) visant à tenir une consultation pancanadienne « en vue d’élaborer un programme national d’aide à la maternité afin de soutenir les femmes dont la grossesse les empêche de travailler et dont l’employeur est incapable de leur fournir des mesures d’adaptation en les réaffectant à d’autres fonctions ». En d'autres termes, on vise la mise sur pied d'un programme de retrait préventif de la travailleuse enceinte.
L'uttam a été invitée à donner son opinion le 4 avril 2017 devant un comité parlementaire qui étudie ce projet de loi en deuxième lecture. Voici les positions que nous avons fait valoir.
L'élément central du projet de loi est de tenir une consultation impliquant le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux afin d'élaborer un programme de retrait préventif de la travailleuse enceinte. Nous avons indiqué que nous étions favorables à la tenue d’une telle consultation, tout en soulignant qu'il fallait notamment respecter les champs de compétence des provinces. Nous pensons en effet qu’il est souhaitable que l’ensemble des travailleuses canadiennes aient accès à un programme de retrait préventif de la travailleuse enceinte.
On doit souligner que le Québec possède déjà d’un tel programme. En vigueur depuis 1981, le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, qui est prévu par la Loi sur la santé et la sécurité du travail, a été un avancement important pour les femmes. Il a notamment permis de mettre fin au terrible arbitrage que les travailleuses enceintes devaient faire entre, d’une part, la nécessité de gagner un salaire afin de faire vivre leur famille et, d’autre part, le risque de perdre leur bébé ou d’hypothéquer la santé de leur enfant à naître lorsque les conditions de travail présentent un danger.
Ce programme fut aussi une grande avancée en matière de santé publique au Québec, non seulement parce qu’il a permis de protéger les travailleuses enceintes, mais également parce qu’il a contribué, à cause de la nécessité de documenter scientifiquement les conditions de travail des femmes, à faire reculer le mythe que le travail des femmes est moins dangereux que celui des hommes, permettant ainsi de mieux prévenir les lésions professionnelles pour l’ensemble des travailleuses.
Cette expérience, largement positive, nous incite à penser que l’intérêt public serait mieux servi si l’ensemble des travailleuses canadiennes avaient accès à un programme visant les mêmes objectifs.
Toutefois, l'uttam n'est pas favorable aux changements proposés aux articles 6 et 7 du projet de loi, qui visent à créer un droit à des prestations d’assurance-emploi pour un retrait préventif d’une travailleuse enceinte. Ces articles prévoient qu'une travailleuse « qui a obtenu un certificat délivré par un médecin attestant qu’elle est incapable d’exercer les fonctions de son emploi régulier ou habituel ou d’un autre emploi convenable parce que ses tâches actuelles peuvent constituer un risque pour sa santé ou celle de l’enfant à naître et qu’il est impossible pour son employeur de modifier ses tâches ou de la réaffecter à un autre poste » puisse recevoir des prestations d'assurance-emploi pour grossesse à partir de la quinzième semaine précédant son accouchement.
Plusieurs raisons motivent notre position.
Premièrement, le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte n’est pas un droit à un congé de maternité. Dans le cas d’un retrait préventif, ce sont les conditions de travail qui sont dangereuses pour la grossesse ou pour l’enfant à naître et non la grossesse elle-même.
C’est pourquoi on tente toujours, dans un premier temps, de modifier les conditions de travail ou de réaffecter la travailleuse et non pas de lui accorder un congé. C’est une question relevant du domaine des conditions de travail et c’est la raison pour laquelle les coûts d’un tel régime au Québec sont entièrement défrayés par les employeurs, car ce sont eux qui contrôlent les conditions de travail et ceux sont également eux qui décident si la travailleuse continuera de travailler ou non.
Pour l'uttam, le régime d’assurance-emploi n’est pas le bon véhicule pour un tel programme. Ce régime est avant tout une caisse commune d’assurance en cas de perte d’emploi. Plus on élargit sa portée, plus on pervertit les fondements du régime. D’ailleurs, intégrer un tel programme relevant du domaine des relations du travail et des conditions de travail dans une loi fédérale ne respecte probablement pas le champ de compétence provinciale en cette matière.
Soulignons de plus que le projet de loi est muet sur tout le processus permettant d’administrer un tel programme. Par exemple, que ce passe-t-il en cas de contestation du certificat médical? En matière d’un tel retrait préventif, il est nécessaire de prévoir un processus spécifique pour traiter ces questions. Cela exige également une expertise particulière que l’administration du régime ne possède certainement pas.
Deuxièmement, nous voyons peu d’utilité à instaurer ce retrait préventif pour seulement les quinze semaines qui précèdent l’accouchement.
D’abord, suite au dernier discours du budget fédéral, le gouvernement a annoncé son intention de porter à douze semaines la période de prestations pour grossesse avant l’accouchement. Ainsi, le retrait préventif prévu par le projet de loi n’aurait d’utilité que pour trois semaines supplémentaires.
Ensuite, cela créerait des distinctions inacceptables entre des travailleuses qui occupent différentes catégories d’emploi. Par exemple, une manutentionnaire pourrait bénéficier de prestations pour un retrait préventif si elle ne peut soulever des charges à la fin de sa grossesse, alors que l’enseignante, qui ne doit pas être en contact avec des enfants pendant les 20 premières semaines de sa grossesse parce qu’elle n’est pas immunisée contre le parvovirus B19, n’y aurait pas accès.
Si la volonté du législateur est d’introduire un programme de retrait préventif de la travailleuse enceinte, il est absolument nécessaire que les travailleuses puissent y avoir accès lorsqu’elles sont exposées à un danger et non pas sur la base d’un calendrier. Il faut savoir qu’au Québec, plus de 94% des retraits préventifs sont accordés avant la 23e semaine de grossesse.
Donc, ces modifications ne nous semblent pas d’une grande utilité pour la vaste majorité des travailleuses enceintes qui sont exposées à un danger dans leur milieu de travail.
Troisièmement, l’adoption des modifications proposées à la Loi sur l’assurance-emploi ferait en sorte qu’une travailleuse enceinte bénéficiant de prestations pour un retrait préventif serait pénalisée financièrement de façon importante et pour nous, c’est inacceptable.
En effet, elle ne recevrait qu’une prestation équivalant à 55% de son salaire, elle n’aurait aucun revenu pendant les deux semaines de carences prévues par la loi, elle n’aurait aucun droit de participer aux régimes d’avantages sociaux dans l’entreprise et ne pourrait en conséquence en bénéficier. De plus, les semaines passées en retrait préventif réduirait d’autant les semaines de prestation d'assurance-emploi régulières ou spéciales qu’elle pourrait recevoir par la suite.
En résumé, l'uttam accueille favorablement le projet de mener une consultation pancanadienne sur le droit au retrait préventif pour les travailleuses enceintes, mais nous avons recommandé aux membres du comité parlementaire chargé d'étudier le projet de loi de ne pas adopter les articles 6 et 7 du projet de loi qui visent à modifier la Loi sur l’assurance-emploi. L'adoption de ces deux articles créerait un dangereux précédent qui pourrait à moyen terme remettre en question le programme québécois de retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite.
Le projet de loi est rendu au stade de la deuxième lecture. Le vote en chambre a été de 231 pour et 78 contre. Il faudra donc suivre de façon attentive les travaux sur ce projet de loi dans les semaines à venir.