La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit, au moment d’un accident ou d’une maladie du travail, que personne ne peut être indemnisée sur la base d’un revenu brut inférieur au salaire minimum à 40 heures par semaine. Cette disposition, inscrite à l’article 65 LATMP, est essentielle pour compenser une perte de capacité de travail qui est par définition à temps plein. Cela signifie, par exemple, que le revenu annuel brut servant de base au calcul d’une indemnité de remplacement du revenu (IRR), pour une lésion professionnelle survenue depuis le 1er mai 2024, est de 32 848$ au minimum (ce qui correspond au salaire minimum actuel de 15,75$ l’heure x 40 heures par semaine).
Malheureusement, cette règle ne s’applique qu’au moment de la lésion et on n’en tient plus compte par la suite. Les victimes initialement indemnisées sur la base du salaire minimum ne voient donc pas leur base salariale augmenter lorsque le salaire minimum est haussé.
La loi prévoit plutôt, à l’article 117 LATMP, une revalorisation annuelle de l’IRR par l’indexation du revenu brut annuel qui sert de base à son calcul. C’est la moyenne de l’indice des prix à la consommation (IPC), calculé sur la période de 12 mois qui précède le 1er novembre de l’année précédente, qui permet de calculer le taux d’indexation pour l’année en cours.
Malheureusement, la plupart du temps, ce taux ne suit pas les véritables augmentations de salaire qu’aurait pu avoir la travailleuse ou le travailleur, ni l’augmentation de plusieurs biens et services de première nécessité et certainement pas les évolutions du salaire minimum. Cela fait en sorte que beaucoup de petits salariés victimes de lésions professionnelles se retrouvent indemnisés – à 90% du revenu net, rappelons-le – sur la base d’un revenu annuel brut inférieur au salaire minimum.
Par exemple, la victime d’un accident du travail survenu le 30 avril 2023 se voit déterminer une base salariale correspondant au salaire minimum en vigueur à ce moment, soit 14,25$ de l’heure ou 29 720$ brut par année. Au 1er mai 2023, alors que le salaire minimum passe à 15,25$, l’IRR versée à cette personne ne change pas. En avril 2024, à la date anniversaire de la lésion, son indemnité est revalorisée en fonction du taux d’augmentation de l’IPC, sans que ça ne corresponde à l’augmentation du salaire minimum qu’elle aura manquée. En octobre 2024, 18 mois après l’accident, la base salariale de cette personne est de 5,5% inférieure à celle d’une personne subissant un accident du travail aujourd’hui, que la CNÉSST indemnise sur la base du salaire minimum actuellement en vigueur. En termes de manque à gagner, c’est plus de 1000$ d’IRR net de moins par année par rapport à une personne indemnisée au salaire minimum actuel.
Évidemment, plus le temps passe et plus l’écart se creuse, au fil des années, entre la personne indemnisée pour une lésion professionnelle et la personne qui travaille au salaire minimum. Ainsi, lorsqu’on compare la situation d’une travailleuse devenue inemployable à la suite d’une lésion professionnelle survenue en juin 2007, alors qu’elle travaillait au salaire minimum, avec celle d’un travailleur subissant un accident du travail aujourd’hui, on arrive en 2024 à une base salariale brut inférieure de 27% et un manque à gagner de plus de 5000$ d’IRR par an, ce qui représente une énorme différence.
Le graphique qui précède montre l’évolution du revenu annuel brut servant de base au calcul de l’IRR et illustre comment l’écart se creuse, année après année, avec le salaire minimum.
Le tableau ci-dessous donne quelques exemples du manque à gagner, selon la date de la lésion, pour une victime célibataire, sans personne à charge, indemnisée sur la base du salaire minimum :
Date de la lésion | Base salariale en 2024 | IRR annuelle (90% du net) | Manque à gagner d'IRR net |
---|---|---|---|
Novembre 2024 | 32 848$ | 24 483$ | - |
Avril 2023 | 31 067$ | 23 407$ | 1 076$ |
Février 2020 | 30 067$ | 22 809$ | 1 674$ |
Janvier 2015 | 27 030$ | 21 016$ | 3 467$ |
Octobre 2009 | 25 797$ | 20 238$ | 4 245$ |
Juin 2007 | 23 975$ | 19 162$ | 5 321$ |
Les victimes devenues invalides suite à un accident ou une maladie du travail, alors qu’elles travaillaient au salaire minimum, sont donc condamnées à un appauvrissement totalement injuste. Avec les hausses du coût de la vie et en particulier de plusieurs biens et services de première nécessité, la situation devient, dans bien des cas, catastrophique.
Pour ne donner qu’un exemple de la hausse du coût de certains biens et services essentiels, le graphique qui suit montre l’évolution du coût mensuel d’un logement 3 ½ dans un bloc appartement dans la région de Montréal, de 2007 à 2023 :
Alors que le coût moyen d’un 3 ½ a augmenté de 67% de 2007 à 2023, passant de 607$ à 1 011$ par mois, l’IRR de la personne devenue invalide à la suite d’un accident survenu en 2007 n’a augmenté que de 38% durant la même période. Il n’est pas étonnant de constater que plusieurs victimes de lésions professionnelles graves ont du mal à joindre les deux bouts quelques années après leur lésion.