Non cotisation au RRQ

Appauvrissement des victimes du travail

Une rentre de retraite diminuée pour toutes les victimes du travail

Depuis des décennies, les associations de travailleuses et de travailleurs accidentés ou malades dénoncent la pénalité injuste que subissent à la retraite les victimes de lésions professionnelles. Alors que les cotisations prévues par le Régime de rentes du Québec sont soustraites du calcul pour établir l’indemnité de remplacement du revenu d’une victime, elles ne sont pas versées à Retraite Québec, qui compte ces périodes d’arrêt de travail comme non travaillées et donc, cotisées à zéro (0$). Évidemment, cela a des impacts sur la rente de retraite à laquelle ont droit ces personnes.

La Loi sur le régime de rentes du Québec (LRRQ) prévoit, certes, des mesures d’exemption qui permettent d’amortir certains impacts de périodes non travaillées. L’une d’elles concerne les victimes de lésions professionnelles qui reçoivent une IRR pleine de la CNÉSST, pendant au moins deux années consécutives. Ces périodes d’arrêt de travail peuvent être retirées du calcul pour établir les gains moyens de carrière, afin de déterminer la rente de retraite de la travailleuse ou du travailleur, ce qui permet d’atténuer l’impact d’un arrêt pour une lésion professionnelle.

Cette mesure n’empêche toutefois pas les victimes du travail de s’appauvrir à la retraite. Si le retrait de ces années d’arrêt de travail d’au moins 24 mois améliore la moyenne des gains et diminue l’impact d’une lésion professionnelle, cette mesure donne aussi plus de poids aux années de faibles gains généralement plus fréquentes en début de carrière. De plus, l’exemption ne s’applique pas aux arrêts de travail de moins de 24 mois consécutifs, ni aux périodes d’indemnités réduites, lorsque les victimes du travail touchent des revenus d’emploi plus faibles en raison d’une réduction de leur capacité de gain causée par leur lésion.

Enfin, la mesure n’a aucun effet sur la non-cotisation au régime supplémentaire de retraite. En vigueur depuis le 1er janvier 2019, ce régime supplémentaire vise à bonifier la rente de retraite, prévue initialement pour correspondre à 25% des gains moyens de carrière, afin de la faire passer progressivement à 33,33% de ces gains moyens. Pour financer cette augmentation de 8,33% des gains en carrière, le taux de cotisation au RRQ a d’ailleurs été augmenté en 2019.

L’IRR des victimes de lésions professionnelles est donc réduite, depuis 2019, pour tenir compte de ces cotisations plus élevées qu’elles paieraient normalement au RRQ pour financer cette bonification. Mais comme la CNÉSST ne verse pas ces cotisations, les victimes du travail ne cotisent pas dans le régime supplémentaire pour lequel aucune mesure d’exemption ne s’applique, et elles ne peuvent donc pas en profiter au moment de la retraite.

Cette injustice s’aggrave chaque année, à mesure que le régime supplémentaire est capitalisé et que la rente totale finale que touchent les retraités s’approche peu à peu du 33,33% de la moyenne des gains en carrière. L’écart entre les victimes de lésions professionnelles et les travailleuses et travailleurs qui n’en ont pas subies devient ainsi plus important chaque année.

L’impact total réel de la non-cotisation au RRQ pendant une lésion professionnelle varie selon les personnes et les situations, mais toutes les victimes sont pénalisées d’une façon ou d’une autre au moment de toucher leur rente de retraite. Les personnes les plus pénalisées sont généralement celles qui ont reçu une IRR réduite pendant une longue période, mais même les victimes couvertes par la mesure d’exemption touchent une rente de retraite moins importante que si elles n’avaient pas subi de lésion professionnelle.

Le tableau suivant, extrait d’un mémoire de l’uttam déposé en 2023, donne quelques exemples d’impacts que peut avoir une lésion professionnelle sur la rente mensuelle de retraite :

Impact d'une lésion sur la retraite

Rente de retraite à 65 ans En 2023 En 2059
Situation rente mensuelle Impact de la lésion Rente mensuelle Impact de la lésion
Pas de lésion 1 210$ - 1 471$ -
22 mois d'IRR 1 182$ -28$ 1 431$ -40$
3 ans d’IRR 1 201$ -9$ 1 442$ -29$
IRR réduite et emploi convenable à compter de 40 ans 773$ -437$ 951$ -520$
IRR pleine à compter de 40 ans (inemployable) 1 032$ -178$ 1 122$ -349$

Ces exemples postulent que la personne aurait des gains moyens de carrière de 52 000$ annuellement (en dollars d’aujourd’hui). On voit également l’impact de la non-cotisation au régime supplémentaire en place depuis 2019 qui s’aggrave à mesure que le temps passe. La personne devenue invalide à 40 ans qui prend sa retraite en 2023 perd 178$ par mois, mais ce sera près du double (349$), lorsque le régime supplémentaire sera pleinement capitalisé.

Si la perte varie selon la situation, on remarque que toutes les victimes de lésions professionnelles sont impactées. Tout comme l’indemnisation sous le salaire minimum, cette diminution injuste des revenus à la retraite est plus pénible que jamais dans le contexte de l’augmentation rapide du coût de la vie qu’on connait actuellement.

Pour éviter ces pénalités à la retraite, il faudrait que la CNÉSST verse les cotisations de la travailleuse ou du travailleur et de l’employeur à Retraite Québec, qui calculerait alors ces périodes comme si elles étaient travaillées. C’est aussi la chose logique à faire, puisque la CNÉSST retranche déjà du calcul de l’IRR l’équivalent des cotisations prévues pour le RRQ.

La « solution » SAAQ : un mauvais remède à un vrai problème

Pour « solutionner » un problème similaire que subissent les victimes de la route touchant une indemnité de remplacement du revenu, une récente réforme à la SAAQ a créé la possibilité de prolonger l’IRR au-delà de l’âge de la retraite, afin de compenser la diminution de la rente de retraite. Mais comme l’IRR ainsi prolongée est très limitée, cette « solution » ne compense pas, dans la plupart des cas, la véritable perte subie par les accidentés de la route sur la rente de retraite. Notons aussi que la réforme de la SAAQ ne prévoit rien pour les victimes de la route qui ont cessé le travail pendant plusieurs années avant de le reprendre quelques années avant leur retraite.

En fait, comme les victimes de la route ne bénéficient pas non plus de l’exemption qui permet de retirer du calcul de la rente les périodes d’IRR de 2 ans ou plus, l’application de la « solution » SAAQ aux victimes du travail aurait pour effet de les appauvrir encore davantage dans beaucoup de cas. Pour plusieurs victimes du travail, le transfert de la « solution » SAAQ au régime de réparation des lésions professionnelles serait donc l’équivalent d’un recul et entrainerait un appauvrissement à la retraite.

Il n’est donc pas souhaitable de transférer la « solution » mise en place du côté de la SAAQ aux victimes du travail. Seul le versement des cotisations au RRQ pendant toute période d’indemnisation permet d’éliminer les pénalités à la retraite dans toutes les circonstances.

Pour en savoir plus sur la « solution SAAQ » et comprendre pourquoi ce n’est pas une solution souhaitable à l’injustice : La rente viagère de la SAAQ

Même la Commission est d’accord avec nous!

Revendiquer que la CNÉSST verse les cotisations ouvrières et patronales au RRQ n’a rien de farfelu, puisque la Commission, elle-même, a déjà défendu cette option au début des années 1980. En effet, en rédigeant un avant-projet de loi de ce qui allait devenir l’actuelle Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, elle proposait alors d’y inscrire la disposition suivante :

Le bénéficiaire d’une indemnité de remplacement du revenu contribue au régime des rentes prévu par la Loi sur le régime des rentes du Québec (chapitre R-9) comme s’il continuait à travailler. La Commission prélève sur cette indemnité la part du travailleur et assume celle de l’employeur.

Le revenu brut retenu pour le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu est réputé être, pour les fins d’application de la Loi sur le régime des rentes du Québec, un salaire admissible.

[...] le travailleur se retrouve alors dans la même situation que s’il avait continué à travailler. On évite ici qu’il subisse un autre préjudice du fait de sa lésion. Par conséquent, le travailleur pourrait continuer à contribuer aux régimes publics d’assurance sociale (régime des rentes du Québec, assurance-chômage) et en retirer les avantages, le cas échéant, comme s’il avait continué à travailler.[...]

CSST, Avant-projet de loi sur la réparation des lésions professionnelles, 15 août 1981, article 42 et annexe aux notes explicatives.

Malheureusement, cette proposition raisonnable et logique de la CNÉSST de l’époque ne devait pas être retenue. Quatre décennies plus tard, les victimes du travail en paient encore le prix, par un appauvrissement à la retraite que rien ne justifie, qui plongent certaines personnes dans la pauvreté et la misère.

Pour éviter toute pénalité à la retraite : que la CNÉSST verse les cotisations à Retraite Québec

Pour éliminer cette injustice et éviter toute pénalité à la retraite, l’uttam demande au ministre du Travail de modifier la loi pour faire en sorte que la CNÉSST verse les cotisations prévues au Régime de rentes du Québec et que Retraite Québec considère les périodes d’IRR, pleines ou réduites, comme si elles étaient travaillées aux fins du calcul de la rente de retraite.

Il est urgent que le ministre du Travail agisse et mette fin à l’appauvrissement injustifié des victimes du travail à la retraite!

 
 
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