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Une rente à vie à la CNÉSST comme celle de la SAAQ : une bonne idée?

Depuis 2022, la Loi sur l’assurance automobile prévoit la possibilité que la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) puisse verser une rente viagère aux victimes d’accidents de la route afin de compenser, dans certains cas, les effets que peut avoir un accident de la route sur la rente de retraite versée par le Régime de rentes du Québec (RRQ).

Plusieurs victimes d’accidents et de maladies du travail se demandent pourquoi elles n’ont pas accès à une rente semblable et dénoncent ce « deux poids, deux mesures ». Plusieurs autres se posent des questions et cherchent des réponses.

Cet article vise à donner quelques réponses à ces questions. Voici donc des informations sur les changements qui ont été apportés à la SAAQ permettant la création d’une rente à vie afin de compenser l’absence de cotisations au RRQ.

Mais d’abord, examinons l’injustice à laquelle font face les victimes de lésions professionnelles lorsqu’elles arrivent à l’âge de la retraite.

En effet, même si la CNÉSST calcule les cotisations normalement versées au Régime de rentes du Québec pour fixer le revenu net qui sert à déterminer le montant de l’indemnité de remplacement du revenu, dans les faits, ces cotisations ne sont pas versées à Retraite Québec.

Ainsi, les travailleuses et les travailleurs ne reçoivent pas ce montant déduit par la CNÉSST lorsqu’ils touchent leur indemnité de remplacement du revenu et leurs gains enregistrés au RRQ sont fixés à 0 $ pour toutes les périodes d’indemnisation. Pour plus d’information sur ce sujet, voir le texte sur le RRQ.

Cela peut avoir des conséquences importantes sur la rente de retraite qui sera versée plus tard par Retraite Québec.

Avant 2022, la situation était semblable pour les victimes d’accidents de la route qui sont indemnisées par la Société de l’assurance automobile du Québec puisque l’indemnité de remplacement du revenu qu’elle verse est calculée de la même façon qu’à la CNÉSST. Cependant, à la suite de plusieurs années de dénonciation, le gouvernement a enfin décidé d’agir pour corriger cette injustice pour les victimes d’accidents de la route.

Bien que, pour certaines victimes d’accidents de la route, ce soit une amélioration, la mesure laisse cependant de côté la vaste majorité des personnes indemnisées par la SAAQ.

À noter cependant que le changement est rétroactif à 1990 et que toutes personnes ayant reçu une indemnité de la SAAQ pendant au moins trois ans et qui étaient encore indemnisées à l’âge de 67 ans ont droit à cette rente viagère.

Les deux régimes (SAAQ et CNÉSST) prévoient en effet une indemnité équivalant à 90 % du revenu net retenu lorsqu’une personne devient incapable d’occuper son emploi.

Pour en arriver à ce revenu net, la SAAQ ou la CNÉSST calcule les retenues d’impôts et les cotisations ouvrières au RRQ, à l’assurance-chômage et au Régime québécois d’assurance parentale qui sont normalement déduites par l’employeur à chaque paie et qui les verse aux gouvernements. La SAAQ et la CNÉSST font le même calcul qu’un employeur, mais elles ne versent pas ces déductions aux gouvernements. Donc, Retraite Québec par exemple ne reçoit pas la cotisation pour le RRQ qui est calculée par la SAAQ ou la CNÉSST pour la personne indemnisée.

Évidemment, si Retraite Québec ne reçoit pas de cotisations pour le RRQ, elle ne prend pas en compte ces indemnités versées par la CNÉSST ou la SAAQ pour calculer les gains moyens de carrière qui servent à déterminer le montant de la rente de retraite.

L’autre problème concerne la fin du versement des indemnités. Les deux régimes prévoient en effet que l’indemnité de remplacement du revenu cesse, en cas d’incapacité de travail, au plus tard à 68 ans (après une réduction graduelle de 25 % par année à compter de 65 ans) ou 4 ans après l’accident si la personne a plus de 64 ans au moment de l’accident (par exemple, dans le cas d’un accident à 70 ans, l’indemnité est réduite de 25 % à chaque année et se termine à 74 ans).

Cette réduction de l’indemnité à compter de 65 ans repose sur la logique voulant que ce soit alors le RRQ et la pension fédérale de la sécurité de la vieillesse qui prennent le relais et versent à la personne ses rentes de retraite. Or, le fait que les cotisations au RRQ ne soient pas versées par la SAAQ ou la CNÉSST pendant la période de l’arrêt de travail peut avoir un impact important sur le montant de la rente de retraite versée par le RRQ et pénaliser les victimes du travail ou d’accidents de la route par rapport aux autres travailleuses et travailleurs.

Du côté des victimes d’accidents de la route, il n’y a effectivement aucune règle de compensation qui est prévue au RRQ. Chaque arrêt de travail a donc un impact sur la rente de retraite versée par le RRQ, puisque pour chaque mois d’arrêt de travail, les gains admissibles pour calculer la rente de retraite sont fixés à 0 $. Donc, plus l’arrêt de travail sera long, plus la moyenne des gains de carrière risque de diminuer et plus l’impact financier au RRQ risque d’être grand.

Pour la grande majorité des victimes de lésions professionnelles, la situation est la même que pour les victimes d’accidents de la route. Cependant, le RRQ prévoit que toute période d’indemnité pleine (à 90 % du salaire net) versée par la CNÉSST pour une durée de plus de 24 mois consécutifs est exclue du calcul pour déterminer la moyenne des gains admissibles utilisés pour le régime de base.

Par exemple, le RRQ additionne généralement le salaire des 40 meilleures années de la période cotisable (la période cotisable est de 47 ans, soit de l’âge de 18 à 65 ans) et divise par 40 pour obtenir le revenu moyen. Si je suis en arrêt de travail de 45 à 65 ans à cause d’un accident du travail, le RRQ va exclure ces 20 années du calcul et va additionner le salaire de mes 20 meilleures années et va diviser par 20 pour obtenir mon revenu moyen.

En théorie, cette règle fait en sorte que l’impact d’une lésion professionnelle causant un arrêt de travail de plus de 24 mois ne devrait pas avoir d’impact sur la rente de retraite du RRQ.

En pratique cependant, il peut y avoir des effets. Par exemple, pour quelqu’un qui a eu des revenus instables ou faibles en début de carrière (études, chômage, etc.), cela peut avoir un impact.

De plus, depuis 2019, la rente de retraite comprend maintenant deux composantes : le régime de base (25 % du revenu moyen pendant toute la carrière) et le régime supplémentaire (8,33 % des revenus réels cotisés sur une période de 40 ans). La règle de l’exclusion du calcul pour les arrêts de travail de plus de 24 mois ne touche que le régime de base et non pas le régime supplémentaire. Pour plus d’information sur ce sujet, voir le texte sur le RRQ

Les modifications apportées à la loi prévoient qu’à compter de l’âge de 68 ans, une rente viagère serait versée par la SAAQ pour compenser la perte de la rente de retraite du RRQ. Un règlement prévoit une formule complexe de calcul qui prend notamment en compte le montant de l’indemnité reçue par la personne et le nombre total de jours d’indemnisation.

Ce qu’il faut toutefois savoir, c’est que pour avoir droit à cette rente viagère à 68 ans, il faut recevoir une indemnité de remplacement du revenu de la SAAQ lors de son 67e anniversaire. Si l’accident a lieu après 64 ans, il faut encore recevoir une indemnité trois ans plus tard pour avoir droit à la rente viagère.

Donc, la très vaste majorité des victimes d’accidents de la route n’y a pas accès. Par exemple, même si j’ai subi un grave accident de la route à l’âge de 25 ans, qui a fait en sorte que j’ai été en arrêt de travail pendant 5 ans, je n’aurai pas droit à cette rente viagère à ma retraite si mes indemnités ont cessé à l’âge de 30 ans lors de mon retour à mon emploi. Or, pendant ces 5 ans, je n’aurai pas cotisé au RRQ, ce qui aura un impact sur ma rente de retraite (diminution de ma rente entre 6 % et 12 %).

Le montant de la rente versée par la SAAQ dépend du nombre de jours d’indemnisation et du montant de l’indemnité de remplacement du revenu versée par la SAAQ.

Par exemple, on peut voir dans le tableau suivant que si j’ai subi mon accident le jour de mon 63e anniversaire, que l’indemnité versée par la SAAQ était de 31 200 $ par année, je recevrai une rente à vie de 624 $ par année. Si mon accident est plutôt survenu à 25 ans et que j’ai toujours été indemnisé jusqu’à 67 ans, ma rente viagère annuelle sera de 12 480 $.

Exemples de rentes viagères de la SAAQ (personne recevant une indemnité pleine à 90 % du revenu net)
Âge (au moment de l'accident) Indemnité annuelle de la SAAQ la veille du 65e anniversaire Rente annuelle de la SAAQ à compter du 68e anniversaire
63 ans 31 200 $ 624 $
60 ans 31 200 $ 1 560 $
50 ans 31 200 $ 4 680 $
40 ans 31 200 $ 7 800 $
30 ans 31 200 $ 10 920 $
25 ans 31 200 $ 12 480 $

Nous avons fait quelques simulations et ces montants représentent approximativement la baisse de la rente de retraite du RRQ.

Cependant, comme nous l’avons déjà dit, il faut être indemnisé à 67 ans pour recevoir cette rente viagère. Par exemple, une personne ayant été indemnisée pendant 5 ans par la SAAQ, à la suite d’un grave accident de la route subi à l’âge de 45 ans et qui retourne occuper son emploi par la suite, ne sera pas admissible à cette rente à vie, même si elle n’a pas cotisé au RRQ pendant ces 5 années; elle sera donc pénalisée lorsqu’elle recevra sa rente de retraite du RRQ.

On peut voir dans le tableau suivant le montant de cette rente pour quelqu’un qui reçoit une indemnité résiduelle de 6 500 $ par année.

Exemples de rentes viagères de la SAAQ (pour une personne recevant une indemnité résiduelle)
Âge (au moment de l'accident) Indemnité annuelle de la SAAQ la veille du 65e anniversaire Rente annuelle de la SAAQ à compter du 68e anniversaire
63 ans 6 500 $ 130 $
60 ans 6 500 $ 325 $
50 ans 6 500 $ 975 $
40 ans 6 500 $ 1 125 $
30 ans 6 500 $ 2 275 $
25 ans 6 500 $ 2 600 $

Il faut souligner que le calcul se fait sur la base du montant de l’indemnité reçue au moment de prendre la retraite. En effet, l’indemnité résiduelle peut être réduite lorsque la personne gagne plus que prévu en occupant son emploi adapté à sa condition.

Par exemple, si je suis victime d’un accident à l’âge de 50 ans, que je reçois une indemnité annuelle de 31 200 $ pendant 5 ans lors de mon arrêt de travail, que pendant les 5 années suivantes, je reçois une indemnité résiduelle de 12 500 $ par année pour occuper un emploi adapté à ma condition et qu’ensuite je reçois pendant les 5 dernières années de ma vie active une indemnité annuelle de 6 500 $ car j’ai eu une augmentation de salaire, je ne recevrai que 975 $ par année de rente viagère, comme si je n’avais reçu que 6 500 $ pendant toute ma période d’indemnisation de 15 ans.

Et si, par malheur, mon indemnité résiduelle prend fin à 63 ans à la suite d’une augmentation de salaire encore plus élevée, je n’aurai pas droit de recevoir de rente viagère de la SAAQ.

Pour les victimes qui demeurent en incapacité totale de travail pour le reste de leurs jours (celles qui sont indemnisées à 90 % de leur revenu net jusqu’à leur retraite), les deux régimes sont à peu près équivalents. Au moment de prendre leur retraite, leur perte est minimisée. Pour les victimes de lésions professionnelles, le RRQ leur verse une rente de retraite basée sur leur gain moyen, en excluant du calcul les années d’indemnisation. Pour les victimes de la route, leurs années non travaillées sont calculées par le RRQ à 0 $, mais la SAAQ leur verse une rente à vie pour compenser. Dans les deux cas, les montants reçus sont à peu près équivalents.

Pour les victimes qui ne sont plus indemnisées à 67 ans, le régime prévu pour la CNÉSST est beaucoup plus avantageux que celui de la SAAQ. En effet, une personne qui n’est plus indemnisée par la SAAQ à 67 ans n’a pas droit à la rente à vie de la SAAQ pour compenser sa perte au RRQ. Du côté de la CNÉSST, le RRQ ne prend pas en compte dans son calcul du revenu moyen toutes les périodes d’arrêt de travail indemnisées de plus de 24 mois consécutifs, peu importe l’âge de la victime. Donc, en théorie, l’arrêt de travail n’a pas (ou peu) d’impact sur la rente de retraite du RRQ.

Toutes les victimes (SAAQ ou CNÉSST) qui ont eu un ou plusieurs arrêts de travail de moins de deux ans sont pénalisées par le RRQ, parce que leurs gains comptabilisés par le RRQ sont fixés à 0 $, ce qui diminue leurs gains moyens de carrière. Dans ces situations (qui touchent la vaste majorité des victimes de lésions professionnelles ou de la route), les personnes sont désavantagées de la même façon.

Pour les personnes qui reçoivent une indemnité réduite (à la CNÉSST) ou résiduelle (à la SAAQ), soit des personnes avec des séquelles permanentes qui ne peuvent occuper leur emploi, mais qui peuvent occuper un emploi adapté à leur condition, la situation est nettement plus avantageuse pour les victimes de la route. En effet, si une personne reçoit une indemnité résiduelle de la SAAQ à 67 ans, elle aura droit de recevoir une rente à vie de la SAAQ. Évidemment, comme la rente à vie est calculée sur l’indemnité résiduelle et que ladite indemnité résiduelle est souvent minime, la rente viagère sera elle-aussi minime.

Cela dit, c’est quand même mieux que les victimes d’accidents et de maladies du travail puisque le RRQ prend en considération, sans règle particulière, ces périodes dans son calcul; ceci peut avoir un impact important sur la rente de retraite quand la personne occupe un emploi convenable à petit salaire pendant 5, 10, 25 ou 40 ans. Par exemple, une personne qui travaillait à un salaire de 80 000 $ par année avant son accident et qui accepte un emploi adapté à sa condition physique payé au salaire minimum, va cotiser au RRQ sur la base du salaire minimum alors que l’indemnité compensatoire versée par la CNÉSST n’est pas comptabilisée par le RRQ.

La seule solution permettant d’éviter l’appauvrissement à la retraite des victimes de lésions professionnelles et d’accidents de la route, par rapport aux autres travailleuses et travailleurs, serait que la CNÉSST et la SAAQ versent au RRQ les cotisations qu’elles calculent déjà pour indemniser les victimes, mais qui ne sont pas payées.

En faisant cela, il n’y aurait aucun impact, peu importe la durée de l’arrêt de travail, puisque les cotisations ouvrières et patronales continueraient d’être versées au RRQ, tout comme si la personne avait continué à travailler.

C’est une solution simple qui mettrait fin à une injustice qui a trop longtemps duré.

 
 
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