Sommaire

  • Pourquoi un Livre vert?
  • Un peu d’histoire
  • État de situation
  • Orientations proposées
  • Conclusion
  • Rapport de consultation et recommandations

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    Ce Livre vert est publié par l'Union des travailleurs et tra­vailleuses accidenté-e-s de Montréal. Pour nous contacter : Contact

    Deuxième partie

    « La plus grande injustice

    est de traiter également

    les choses inégales »

    Aristote

    État de situation :

    un régime de réparation injuste

    A. L’admissibilité au régime

    Afin de pouvoir bénéficier du régime de réparation, il faut d’abord avoir subi une lésion professionnelle et être une travailleuse ou un travailleur au sens de la loi. Il faut, en plus, être à l’emploi d’un employeur qui a un établissement au Québec puisque, rappelons-le, c’est l’employeur qui est couvert par le régime d’assurance.

    L’admissibilité est une question fondamentale puisque ce sont les règles qui la régissent qui déterminent qui aura accès au régime d’indemnisation. Et les problèmes auxquels sont confrontés les travailleuses et les travailleurs sont fort nombreux.

    1. 1. La déclaration et la reconnaissance des lésions professionnelles

    Depuis quelques années, la CSST et les ministres du Travail se félicitent de la réduction extraordinaire du nombre de lésions professionnelles survenues au Québec. Selon eux, on constaterait une diminution de plus du tiers des lésions depuis 10 ou 15 ans. À titre d’exemple, le PDG de la CSST, Michel Després, écrit dans le rapport annuel 2012 de l’organisme « Notre performance en matière de santé et de sécurité du travail continue de s’améliorer. Nos efforts […] nous ont en effet permis de réduire de 35% le nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles depuis 2002 ». Qu’en est-il vraiment?

    Cette affirmation est certainement fausse ou, à tout le moins, fondée sur du vide. En effet, la CSST ignore totalement le nombre réel de lésions professionnelles pouvant survenir au Québec puisque, depuis la réforme de 1985, les employeurs n’ont plus l’obligation de déclarer toutes les lésions professionnelles, mais seulement celles qui occasionnent un arrêt de travail de plus d’une journée.

    À titre d’illustration, l’accident d’un travailleur qui reçoit les premiers soins sur place et qui reprend son travail n’est pas comptabilisé puisque c’est l’employeur qui assume le salaire pendant la perte de temps. Une travailleuse transportée à l’urgence suite à l’événement et qui revient au travail le lendemain pour occuper une assignation temporaire à un travail léger n’est pas prise en compte dans les statistiques puisque c’est l’employeur qui assume le salaire pendant la perte de temps et pendant toute la période d'assignation temporaire.

    Le camouflage des lésions professionnelles, notamment par l’utilisation systématique de l’assignation temporaire d'un travail par un grand nombre d’employeurs, fait en sorte que nous avons maintenant un portrait totalement faussé de la réalité.

    D’autres informations nous indiquent cependant que cette réalité est moins rose qu’on veut bien nous le laisser croire. Par exemple, si on compare les données de 1997 et de 2012 (* voir tableau 1), on constate qu’il y aurait effectivement eu une diminution de 35,4% des réclamations « acceptées et indemnisées » (donc avec un arrêt de travail de plus d’une journée) mais que le nombre de dossiers pour lesquels la CSST a effectué au moins un paiement (par exemple les frais pour une consultation à l’urgence) n’a diminué que de 7,6%. N’eût été du taux de refus des réclamations qui ne cesse d’augmenter depuis 15 ans, les données seraient probablement identiques.

    L'échan est trop petit pour voir ce tableau. Essayez en position paysage.

    * Tableau 1 : évolution des dossiers à la CSST depuis 15 ans


    1997

    2012

    Différence


    AT

    MP

    Total

    AT

    MP

    Total

    97–12

    Réclamations

    145 800

    9 548

    155 348

    101 197

    9 897

    111 094

    -28,5%

    Acceptées et indemnisées

    133 362

    5 346

    138 708

    85 523

    4 117

    89 640

    -35,4%

    Taux d’acceptation

    91,5%

    56,0%

    89,3%

    84,5%

    41,6%

    80,6%

    -8,7%

    Dossiers avec paiement



    280 052



    258 712

    -7,6%


    Bien que ce maquillage de la réalité puisse embellir les bilans annuels de la CSST, cela a plusieurs effets néfastes. Par exemple, comment peut-on mettre de l’avant des programmes de prévention efficaces dans une entreprise non-syndiquée qui n’a aucun accident du travail déclaré parce qu’elle utilise systématiquement l’assignation temporaire?

    Cela a aussi des impacts sur bon nombre de travailleuses et de travailleurs. Le corolaire à la non-obligation de l’employeur de déclarer à la CSST toutes les lésions professionnelles est que, depuis 1985, les travailleuses et les travailleurs doivent maintenant produire une réclamation à la CSST dans les six mois de l’événement. Pour le faire, la loi prévoit qu’ils sont assistés par leur employeur pour la rédaction de la réclamation et pour leur fournir les informations requises à cette fin. Or, plusieurs travailleuses ou travailleurs voient leur réclamation refusée parce que la déclaration des faits, rédigée grâce à l’assistance intéressée de l’employeur, est incomplète, déformée ou laisse place à interprétation, d’autres parce qu’ils n’ont pas respecté le délai de six mois suite aux judicieux conseils de leur employeur, etc.

    Ainsi, une proportion importante de travailleuses et de travailleurs victimes d’un accident ou d’une maladie du travail voit la CSST refuser leur réclamation. Selon les données de la CSST pour 2012, elle n’a accepté que 80,6% de l'ensemble des réclamations pour accident du travail ou maladie professionnelle qui ont été produites; elle refuse donc une demande sur cinq. Si on examine plus spécifiquement la question des maladies professionnelles, on se rend compte que la situation est dramatique : la CSST n'a accepté que 41,6% des réclamations qui lui ont été faites. Quand un régime en vient à considérer que plus de la moitié des travailleuses et des travailleurs malades est constituée « d’abuseurs du système », il n’est pas exagéré de penser que c’est ce régime qui est gravement malade et qu’il faut le soigner… de force si nécessaire!

    Cette injuste réalité s’explique par différents éléments. À la base, il faut constater que la loi laisse trop de place à la discrétion de la CSST; celle-ci peut ainsi adopter des politiques restrictives qui facilitent, voire encouragent, le refus des réclamations.

    Par exemple, alors qu'il n'y a pas eu véritablement de modification législative portant sur l'admissibilité au régime au cours des quinze dernières années, on constate que le taux d'acceptation des réclamations par la CSST est passé graduellement de 89,3% en 1997 à 80,6% en 2012 (voir tableau 1 ci-haut). Ces « gains de productivité » en termes de refus ont été permis par la mise en place de politiques plus restrictives et également par la création d'un service spécialisé de l'admissibilité centralisé au niveau provincial.

    Ajoutons à cela que la CSST fait reposer sur la victime un fardeau de preuve beaucoup trop lourd et refuse trop souvent de lui accorder le bénéfice du doute en cas d'incertitude, que la CSST accorde une grande crédibilité aux représentations qu’un employeur peut faire dans un dossier pour empêcher la reconnaissance d’une lésion professionnelle, que les médecins du bureau médical de la CSST semblent être à la recherche des éléments qui permettraient à la CSST de refuser les réclamations plutôt que de les accepter. On réunit ainsi toutes les « conditions gagnantes » pour refuser des réclamations.

    La définition des lésions professionnelles et les présomptions légales prévues à la loi laissent également beaucoup trop de latitude à la CSST; plus elle peut utiliser sa discrétion, plus la travailleuse ou le travailleur en paie le prix.

    Bien que l’ensemble des travailleuses et travailleurs soient confrontés à la difficulté de faire reconnaître une lésion professionnelle, les victimes de maladies du travail ont une tâche particulièrement difficile. Tel qu'on l'a vu précédemment, le fait que la CSST refuse plus de 50% des réclamations illustre bien cette situation.

    Plusieurs travailleuses et travailleurs victimes d’une maladie faisant partie de la liste des maladies professionnelles, et qui devraient ainsi bénéficier d’une présomption à l’effet que leur maladie est reliée au travail, sont souvent contraints de prouver d’autres éléments qui ne sont pas exigés par la loi. C'est que la CSST ou la CLP, afin d'éviter à tout prix l'indemnisation d'une travailleuse ou d'un travailleur qui ne devrait pas l'être, ont tendance à ne pas fixer de balises à la preuve contraire admissible que peut produire un employeur, et ce malgré les enseignements des tribunaux supérieurs.*

    * « En l'espèce, il appartenait à l'employeur de démontrer que le cancer n'a pas été causé par l'amiante et non à l'employé de démontrer que son cancer pulmonaire a été causé par l'amiante. Est-ce plus aberrant d'imaginer que, dans certains cas, l'employeur puisse être appelé à verser des indemnités auxquelles il ne devrait pas normalement être tenu, que de concevoir qu'un employé puisse être privé d'indemnités auxquelles il devrait normalement avoir droit n'eut été d'une controverse scientifique fort complexe? Dans le cadre d'une loi à portée sociale, je ne le crois pas. »

    Juge André Forget

    Succession Clément Guillemette c. JM Asbestos inc.

    Cour d'appel du Québec - 1996 - p. 13



    Un autre élément qui explique ce taux de reconnaissance anémique est que la liste des maladies professionnelles contenue à la loi n’a pas été bonifiée depuis 1985. Le patronat, qui siège au conseil d'administration de la CSST et qui y dispose d'un droit de véto effectif, bloque systématiquement toute avancée sur cette question depuis près de 30 ans.

    Depuis ce temps, plusieurs maladies du travail n’ont pas été intégrées à la liste québécoise, même si leur étiologie professionnelle est maintenant reconnue scientifiquement et qu’elles font partie des listes de maladies professionnelles dans de nombreux pays.  Il en est ainsi de l’asthme bronchique relié aux agents autres que sensibilisants, du syndrome du tunnel carpien, de certaines maladies psychologiques reliées aux conditions stressantes de travail, de nombreux cancers professionnels, etc.  Il est, de ce fait, très difficile de les faire reconnaître à titre de maladie professionnelle.

    L’ensemble de ces difficultés, souvent bien connues des travailleuses et des travailleurs, fait en sorte qu’il y a une sous-déclaration importante des lésions professionnelles. De nombreuses études démontrent ce phénomène, particulièrement dans les cas des maladies du travail. À titre d’illustration, l’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST) a constaté que seulement une lésion musculosquelettique non-traumatique liée à l’emploi sur cinq avait été déclarée à la CSST.*



    * « En d’autres termes, parmi près de 114 000 salariés québécois qui se sont absentés du travail en raison de douleurs musculo-squelettiques complètement reliées au travail, d’origine non-traumatique, seulement 22 000 ont fait une demande d’indemnisation à la CSST »

    EQCOTESST
    IRSST - 2011 - p. 494



    Mentionnons aussi qu'une nouvelle étude de l'IRSST évalue que le nombre de cancers professionnels au Québec se situe entre 1 800 à 3 000 par année, alors que la CSST n'en reconnaît qu'environ 100 annuellement...*



    * « Tel que souligné dans la littérature, le nombre de cancers indemnisés n’est qu’une petite partie des cancers d’origine professionnelle [...]. Moins de 100 nouveaux cas de cancer entre 2005 et 2007 (dont deux cas par année chez des femmes) et environ 40 décès par cancer entre 1997 et 2005 ont été indemnisés annuellement au Québec. D’après les proportions plausibles de cancer attribuables provenant de la Finlande et de la Grande-Bretagne, chaque année au Québec, de 1 800 à 3 000 des 36 000 nouveaux cas de cancer entre 2002 et 2006 et de 1 070 à 1 700 des 15 600 décès par cancer seraient d’origine professionnelle. »

    France Labrèche et coll.

    Estimation du nombre de cancers d'origine professionnelle au Québec
    IRSST - 2013 - p. 34


    1. 2. Autres types de lésions professionnelles

    En plus des accidents du travail et des maladies professionnelles, la loi reconnaît d’autres types de lésions à titre de lésions professionnelles. C’est le cas pour les lésions survenues à l’occasion des soins, des traitements ou des mesures de réadaptation reçus dans le cadre du suivi d’une lésion professionnelle. C’est aussi le cas lors d’une rechute, d’une récidive ou d’une aggravation d’une lésion professionnelle.

    Les travailleuses et travailleurs qui subissent une rechute, une récidive ou une aggravation voient en majorité leur demande refusée par la CSST. Ce n’est probablement pas pour rien que la CSST a décidé de retirer ce type d’information de son bilan annuel il y a une vingtaine d’années. Notre pratique quotidienne nous enseigne cependant que les refus sont généralisés. À titre d’illustration, les statistiques de notre service d’information téléphonique nous indiquent que les victimes d’accident du travail qui nous appellent le font pour un refus de réclamation dans une proportion de 28% et que cette proportion atteint 65% dans les cas de maladies du travail. Or, dans les cas de victimes de rechute, récidive ou aggravation, c’est 87% des personnes qui nous contactent qui le font parce qu’elles ont subi un refus de réclamation de la part de la CSST.

    Cette situation s’explique principalement parce qu’il n’y a aucun critère d’analyse prévu par la loi. La CSST a ainsi le champ libre pour exercer une discrétion totale et ajouter toujours plus de critères lui permettant de refuser ces lésions, même lorsque la lésion récidivante est au même site de lésion, qu’on est en présence du même diagnostic, etc.

    De plus, bon nombre de travailleuses et de travailleurs développent également des lésions psychologiques consécutives à ce que la CSST nomme le « processus » ou les « tracasseries administratives ». Le « processus », c’est le harcèlement que les travailleuses et les travailleurs doivent subir de la part de leur employeur ou de la CSST, les multiples contestations dans le dossier, les convocations à répétition chez les médecins de l’employeur, de la CSST ou du BÉM, les coupures de traitements ou d’indemnités, les nombreuses audiences devant le tribunal, les vidéo-filatures, etc.

    Tant à la CSST qu’à la CLP, ces lésions occasionnées par le processus de réparation sont souvent considérées comme étant non-indemnisables. On comprend mal pourquoi un tel système, qui rend malade des travailleuses et des travailleurs alors qu’il devrait plutôt les aider, ne doive pas assumer les coûts occasionnés par les lésions qu’il génère lui-même. C'est d'ailleurs ce que recommandait une étude menée par une équipe de chercheurs de l'UQÀM en 2005 qui a documenté les impacts sur la santé de telles « tracasseries ».*



    * « Lorsque ce régime ne prévoit aucune sanction économique dans le cas de contestations injustifiées ou de comportements abusifs entraînant des conséquences néfastes et coûteuses pour les victimes, on peut alors parler d’aberration structurelle encourageant la judiciarisation et potentiellement l’abus de pouvoir.[...] À l’instar de l’Ontario, il faudrait que le Québec s’assure que les coûts des conséquences sur la santé des travailleurs de ce que la jurisprudence de la CLP a baptisé « tracasseries administratives », soient assumés par le régime. Seule l’indemnisation des travailleurs peut inciter les employeurs et même la CSST à réfléchir aux conséquences de ces mesures de « gestion de cas » sur la santé des travailleurs »

    Katherine Lippel et coll.

    Traiter la réclamation ou traiter la personne
    UQÀM - 2005 - p. 58


    Un autre type de problème qui n’est pas couvert par la loi actuelle touche les maladies fœtales professionnelles. Plusieurs travailleuses sont exposées, dans le cadre de leur travail, à des conditions dangereuses pour leur enfant à naître. Malgré l’existence du programme de retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, il arrive que le mal soit déjà fait et que l’enfant naisse malade ou handicapé à cause de l'exposition professionnelle de sa mère. Dans ces cas, aucune indemnisation ni aucune aide ne sont prévues dans la loi actuelle.

    On comprend mal pourquoi la loi québécoise ne couvre pas ce type de situations clairement relié aux risques dans des milieux de travail malsains. À titre d’exemple, un pays comme le Danemark reconnaît maintenant les maladies fœtales professionnelles et prévoit que l’enfant malade ou handicapé a droit aux mêmes bénéfices que toute autre victime de lésion professionnelle.

    1. 3. La couverture du régime

    Le marché du travail a beaucoup changé depuis 30 ans et les employeurs ont été fort créatifs afin de se soustraire à leurs obligations en matière d’assurances publiques, de retraite ou de contributions sociales. Que l’on pense à la sous-traitance, aux agences de placement, à l’embauche de supposés travailleurs autonomes ou de travailleurs « incorporés », les travailleuses et les travailleurs en situation de travail atypique sont de plus en plus nombreux et moins protégés.

    Plutôt que de contraindre les véritables employeurs à cotiser afin de protéger ces travailleuses et travailleurs, l’État privilégie l’individualisation de la couverture en permettant leur protection personnelle de façon volontaire, moyennant évidemment une cotisation entièrement assumée par l'individu.

    La définition actuelle de « travailleur » prévue à la loi encourage les employeurs à modifier les statuts d’emploi, leur permettant ainsi d’économiser des cotisations à la CSST et il est odieux que ce soit les travailleuses et les travailleurs qui en assument les frais. Il serait nécessaire d'élargir la définition de « travailleur » dans la loi afin de couvrir toutes les personnes en situation de travail atypique.

    Une autre injustice criante est la situation vécue par les travailleuses domestiques. Ces travailleuses sont celles qui sont embauchées par des particuliers (habituellement très fortunés) pour s’occuper de tâches domestiques ou prendre soins de personnes, telles les bonnes, gouvernantes, dames de compagnie, cuisinières, etc.

    La loi contient une exclusion spécifique pour ces travailleuses. Malgré le fait que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ait produit un avis en 2008* déclarant que ces travailleuses subissaient un traitement discriminatoire et que tous les ministres du Travail aient déclaré depuis qu’ils allaient respecter l’avis de ladite commission, la clause d’exclusion existe toujours dans la loi. Il est peut-être enfin temps d’agir…



    * « Pour conclure, l’exclusion des domestiques et des gardiennes de la définition du travailleur de la LATMP constitue de la discrimination fondée sur le sexe, la condition sociale et l’origine ethnique ou la race en vertu de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. [...]

    Par conséquent, la Commission recommande que l’exclusion des domestiques et des gardiennes de la protection automatique de la LATMP, soit abrogée et conséquemment, que leur soit appliqués comme à tout autre travailleur les articles et les bénéfices de la LATMP, loi sociale et d’ordre public du Québec. »

    CDPDJ

    La conformité de l’exclusion du domestique et du gardien de la protection automatique de la Loi...
    2008 - p. 74

    B. La réparation médicale

    La question médicale a toujours été pour la CSST et les employeurs l’outil privilégié de la gestion des coûts du régime car une lésion « miraculeusement guérie » a évidemment le grand avantage de ne plus générer de coût en assistance médicale, mais également en indemnité de remplacement du revenu, en frais de réadaptation, en indemnité pour atteinte permanente…

    1. L’assistance médicale

    La loi prévoit que le coût de l’assistance médicale est à la charge de la CSST. Cette assistance comprend les services de professionnels de la santé, les soins ou traitements fournis par le réseau public de santé et de services sociaux, les médicaments et autres produits pharmaceutiques, les prothèses et orthèses et enfin les autres soins, traitements et aides techniques que la CSST détermine par règlement, tels les traitements de physiothérapie en clinique privée, de chiropraxie, de psychologie, etc.

    C’est principalement par voie règlementaire que la CSST restreint le droit à l’assistance médicale. En se drapant derrière de supposées « évidences scientifiques », on en vient à considérer les travailleuses et les travailleurs comme des abuseurs de traitements et à accuser leurs médecins de complaisance. Par l’imposition de conditions aux intervenants et professionnels de la santé, par la limitation du nombre de traitements ou par l’absence de type de traitements couverts, tel l’ostéopathie, la CSST réussi à limiter l’assistance médicale. Il semble nécessaire de limiter les pouvoirs de la CSST sur cette question.

    La CSST refuse également de façon assez systématique le remboursement des traitements de soutien (après la consolidation médicale) prescrits par les médecins traitants afin de maintenir ou d’éviter la dégradation de l’état de santé des travailleuses et des travailleurs. De façon quasi-systématique, la Commission des lésions professionnelles renverse ces décisions de refus de la CSST, mais le mal est déjà fait…

    2. Le processus d’évaluation médicale

    La loi prévoit en principe que la CSST est liée par l’opinion du médecin traitant quant au diagnostic, à la période de consolidation, aux soins et traitements, à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles. Toutefois, un mécanisme existe pour que l’opinion du médecin traitant disparaisse assez rapidement.

    En effet, la CSST et l’employeur ont le pouvoir de faire examiner le travailleur ou la travailleuse par un médecin de leur choix. Si ce médecin contredit l’opinion du médecin traitant et que ce dernier maintient son opinion, on dirige le dossier au Bureau d’évaluation médicale (BÉM). Le BÉM rend un avis qui lie alors la CSST. C’est à ce moment que disparaît l’opinion du médecin traitant.

    La question du processus d’évaluation médicale est de première importance puisqu’elle a toujours constitué la pierre angulaire de ce régime de réparation.  C’est par le biais de la « science médicale » que la CSST garde un contrôle sur les coûts engendrés par les lésions professionnelles, au mépris le plus absolu des droits des victimes d’accidents et de maladies du travail.  D’année en année, une victime de lésion professionnelle sur dix doit goûter à cette médecine, soit environ 10 000 travailleuses et travailleurs.

    Cette situation, maintes fois dénoncée par les organisations ouvrières, perdure encore aujourd’hui, malgré les recommandations de plusieurs comités. On peut notamment penser au groupe de travail formé par la CSST sur la « déjudiciarisation » du règlement des litiges. Dans leur rapport déposé le 6 mai 1994*, les membres de ce comité d’experts recommandaient l’abolition du BÉM et réaffirmaient la nécessité du rôle prépondérant du médecin du travailleur. Même le ministre du Travail, qui avait pourtant refusé d’appliquer cette recommandation en 1998 lors de la réforme devant déjudiciariser la CSST, Mathias Rioux, a admis sur les ondes de Radio-Canada le 31 octobre 2008 qu’il regrettait ne pas avoir à ce moment aboli le BÉM et affirmait « Qui en bout de piste est pénalisé? C’est le travailleur! »



    * « Le système actuel favorise la surenchère des expertises médicales dont les parties doivent assumer les frais et les inconvénients. Ce chassé-croisé d'expertises cristallise les divergences d'opinion entre médecins. De plus, le nombre des expertises médicales demandées dans le contexte actuel constitue un frein à l'obtention rapide d'une décision finale en cette matière, ce qui ne favorise personne et entraîne un coût social exagéré.

    Dans le contexte de la déjudiciarisation, le processus décisionnel en matière médical doit être revu. Une approche plus simple et plus conforme à la pratique médicale courante doit être retenue. »

    Groupe sur la déjudiciarisation

    La déjudiciarisation du régime québécois de santé et de sécurité du travail
    CSST - 1994 - p. 35


    On peut aussi souligner que les membres de la Commission de l’économie et du travail de l’Assemblée nationale constataient, suite à la tenue d’une commission parlementaire sur le BÉM en 2005 et 2006, que le processus d’évaluation médicale à la CSST crée de nombreux problèmes et qu’il doit être réformé.

    Plusieurs travailleuses et travailleurs se plaignent du peu de professionnalisme de certains membres du BÉM. On entend souvent parler d’examens bâclés en quelques minutes, de préjugés, de sexisme, de racisme, d’intimidation, d’humiliation, de brutalité, de mensonges, etc.

    Selon le ministère du Travail, l’existence du BÉM serait justifiée parce que ses avis feraient souvent consensus et mettraient fin à des litiges. Or, rien n’est plus faux. En 2012-2013, les 10 287 avis du BÉM ont généré directement 7 402 demandes de révision, soit un taux de contestation de 72%, sans parler du nombre de contestations incidentes, telles les décisions portant sur la capacité de travail ou sur des mesures de réadaptation.

    De plus, lorsqu’on examine les décisions rendues par la CLP (le tribunal de dernière instance) portant sur des avis du BÉM, on se rend compte que près des trois quarts des contestations sont accueillies. En effet, en 2012-2013 le tribunal a infirmé totalement ou en partie 73% des avis du BÉM qui étaient en litige.

    Enfin, la neutralité de certains membres du BÉM, qui fréquemment faisaient de l'expertise médicale pour la CSST et les employeurs auparavant, est souvent questionnée. Un petit nombre de médecins, toujours les mêmes, réussi d'année en année à réaliser la majorité des avis produits par le BÉM. Certains d'entre-eux ont ainsi pu accumuler des sommes faramineuses de plusieurs millions de dollars au cours des ans, pour un « à-côté » de quelques heures par semaine, qui s’ajoutent à leur revenu provenant de leur pratique en Centre hospitalier ou en clinique.

    Le BÉM penche tellement du même bord que la Tour de Pise aurait l’air droite si on les comparait. Une étude faite par le BÉM lui-même en 1995 révèle que les médecins du BÉM ne confirment l’opinion du médecin traitant que dans 25% des cas.

    3. Le régime spécial dans les cas des maladies professionnelles pulmonaires

    La situation des victimes de maladies professionnelles pulmonaires est encore pire que celle dans laquelle se retrouvent les autres victimes de lésions professionnelles puisque l’opinion du médecin traitant n’a aucune valeur au sens de la loi.

    En effet, dès qu’une réclamation est produite, le dossier est automatiquement référé à l’un des quatre Comités des maladies professionnelles pulmonaires (CMPP). Ces comités sont formés de trois pneumologues. Le rapport de ce comité est ensuite acheminé au Comité spécial des maladies professionnelles pulmonaires (CSMPP), formé des présidents des trois autres comités. L’avis du comité des présidents lie la CSST qui doit rendre une décision qui entérine ses conclusions. La travailleuse ou le travailleur peut évidemment contester cette décision, si elle lui est défarorable, une décision qui, rappelons-le, s’appuie sur l’opinion de pas moins de six « grands spécialistes »… On exige ainsi de la travailleuse ou du travailleur qu'il se décharge d'un fardeau de preuve tellement lourd que bien peu de personnes ont les moyens de se rendre jusqu'au bout.

    Ce processus, souvent biaisé et dont les résultats sont difficilement attaquables, particulièrement par les travailleuses et les travailleuses non-syndiqués, fait en sorte qu'il y a une sous-reconnaissance importante des maladies pulmonaires, même dans les cas où une présomption de maladie professionnelle existe dans la loi, comme c'est le cas pour l'exposition à l'amiante par exemple.*



    * « Les cas de mésothéliome et d’amiantose reconnus comme maladies professionnelles par le CSMPP représentent respectivement 21,4 % des cas de mésothéliome de la plèvre enregistrés au Fichier des tumeurs du Québec et 35 % des personnes hospitalisées avec une mention d’amiantose enregistrés dans le système MED-ÉCHO (Maintenance et exploitation des données pour l’étude de la clientèle hospitalière). Ceci montre que les données d’indemnisation sous-estiment l’incidence des maladies professionnelles dans la population. »

    Louise De Guire et coll.

    Recommandations à la suite des connaissances acquises sur l’exposition à l’amiante...
    INSPQ - 2011 - p. 5


    De plus, ce processus fait en sorte que les délais avant qu’une décision soit rendue, et donc avant que la travailleuse ou le travailleur soit indemnisé, sont extrêmement longs. Malgré le fait que la loi prévoit un délai maximal de 70 jours avant qu’une décision soit rendue (ce qui est déjà très long), ce délai n’est jamais respecté et il n’est pas rare de voir des travailleuses et des travailleurs attendre plus d’un an. Tout cela pour confirmer ou infirmer l'opinion du pneumologue traitant, un médecin qui est pourtant censé avoir été formé pour diagnostiquer et traiter les maladies pulmonaires...

    C. L’indemnisation de l’atteinte permanente ou temporaire

    Le régime de réparation des lésions professionnelles prévoit le versement d’une indemnité afin de compenser l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique découlant de la lésion.

    1. 1. L’atteinte permanente

    Le point central de la réforme de 1985 était de mettre fin aux rentes à vie pour incapacité permanente et à l’obligation pour la CSST d’évaluer la diminution de capacité de travail, ce qu’elle avait frauduleusement omis de faire pendant 50 ans.

    Depuis 1985, la loi prévoit qu’une fois la lésion consolidée médicalement, on doit procéder à l’évaluation du pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de la travailleuse ou du travailleur. Ce pourcentage est évalué en vertu d’un barème déterminé par la CSST par voie règlementaire. Le pourcentage d’atteinte permanente inclut trois composantes : le déficit anatomo-physiologique (DAP), le préjudice esthétique (PE) et les douleurs et la perte de jouissance de la vie (DPJV).

    Ce pourcentage sert à déterminer l’indemnité pour dommage corporel qui est versée en un seul paiement sous forme d'un montant forfaitaire. Cette indemnité est déterminée en appliquant le pourcentage d’atteinte permanente à une grille des montants prévus en fonction de l’âge de la victime au moment de la survenance de la lésion. Pour l’année 2013, ces montants, pour chaque point de pourcentage, vont de 505,28 $ à l’âge de 65 ans jusqu’au montant maximum de 1 010,52 $ à l’âge de 18 ans. Par exemple, une travailleuse de 65 ans aura droit à 505,28 $ pour une atteinte permanente de 1%, à 5 052,80 $ pour 10% ou à 50 528,00 $ pour une atteinte permanente de 100%. Toutefois, en 2013, le montant forfaitaire ne peut être inférieur à 1 010 $.

    Cette compensation de l’atteinte permanente, comme on peut le constater, est effectuée par le versement d'un montant forfaitaire ridiculement bas. À titre d’exemple, le montant forfaitaire dans le cas d’une personne de 18 ans, ayant été victime d’un accident en 2009 et porteur d’une atteinte permanente de 10%, est de 9 457 $ à la CSST alors qu’il est de 21 514 $ à la SAAQ. Toujours à titre d’exemple, la valeur capitalisée d’une rente viagère, tel que cela existait avant la réforme de 1985, pour un travailleur célibataire de 18 ans, gagnant le salaire industriel moyen au moment de l’événement pour lequel une atteinte permanente à l’intégrité physique de 10% a été déterminée, serait de 188 936 $.

    Cette faible compensation est un puissant incitatif à la contestation du plan de traitement du médecin traitant. Il est en effet souvent beaucoup plus économique pour la CSST ou l’employeur de faire cesser prématurément les traitements, quitte à payer une atteinte permanente de 2, 5 ou 10% supplémentaire, que d’attendre que la travailleuse ou le travailleur puisse atteindre une récupération optimale grâce aux traitements. Mais cette logique comptable laisse des humains avec des handicaps permanents qui auraient pu être évités.

    En plus du montant minime de la compensation, l’évaluation des douleurs et de la perte de jouissance de la vie, qui est basée sur une simple équation mathématique, ne prend aucunement en compte les conséquences réelles que subit la travailleuse ou le travailleur.

    Par exemple, un travailleur de 18 ans, qui a un déficit de 3% suite à une opération pour une hernie discale lombaire et qui est porteur de limitations fonctionnelles importantes, aura droit à un pourcentage de 0,3% pour compenser ses douleurs et sa perte de jouissance de la vie. Ce 0,3% lui donnera ainsi droit à une indemnité forfaitaire (un seul versement) de 303,16 $ pour compenser ses douleurs permanentes ainsi que son incapacité pour le reste de ses jours à pratiquer certaines activités de loisirs ou sportives, etc.

    1. 2. L’atteinte temporaire

    La loi ne prévoit aucune compensation pour l’atteinte temporaire à l’intégrité physique ou psychique. En effet, à partir de la survenance de la lésion professionnelle jusqu’au moment où cessent les traitements médicaux parce que l’état de santé de la victime a atteint un plateau thérapeutique, la travailleuse ou le travailleur n’aura droit qu’à l’indemnité de remplacement du revenu (s’il y a un arrêt de travail) et à des soins médicaux ou infirmiers.

    Pourtant, n’est-ce pas pendant cette période que le déficit physique, les douleurs et la perte de jouissance de la vie sont à leur maximum? N’est-ce pas également pendant cette période que la travailleuse ou le travailleur a le plus besoin d’aide à domicile pour prendre soin de lui-même ou pour s’occuper de certains travaux domestiques ou d’entretien du domicile? Or, rien de tout cela n'est compensé.

    À titre d'illustration, l'institut de recherche de la CSST a tenté de quantifier les coûts assumés par les travailleuses et les travailleurs, ainsi que par leur famille, uniquement pour le travail ménager pendant la période d'incapacité de travail; on arrive à un montant de 271 millions de dollars par année. De ce montant, les employeurs, par leurs cotisations à la CSST, n'assument que 4 577 710 $, soit 1,6%...

    Il y a là un trou béant dans la loi qui mérite d’être corrigé.



    * « Les lésions professionnelles avec jours indemnisés ont probablement un impact important sur la capacité à effectuer du travail ménager à la maison. Toutefois, certaines lésions moins contraignantes permettent probablement à certains travailleurs d’effectuer quelques tâches domestiques. En s’appuyant sur plusieurs études, qui elles-mêmes se basent sur des résultats d’enquêtes, nous émettons l’hypothèse que 90 % des jours indemnisés occasionnent aussi des jours de travail ménager non productifs.  De cette façon, le coût du travail ménager pour les lésions professionnelles avec jours indemnisés est estimé à 271 743 418 $ »

    Martin Lebeau et coll.

    Les coûts des lésions professionnelles au Québec, 2005-2007
    IRSST - 2013 - p. 18

    D. L'indemnisation en cas de décès

    Il y a encore malheureusement trop de décès qui sont causés par le travail au Québec. Bien que leur nombre soit largement sous-estimé, la CSST en a tout de même reconnu 211 suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle en 2012.

    Quelle est la valeur intrinsèque de la vie d’une travailleuse ou d’un travailleur au Québec? Si on fait abstraction de la famille et des personnes à charge, des frais funéraires et du transport du corps, la réponse est la suivante : 0 $. Absolument rien! En effet, un employeur responsable de la mort d’une travailleuse ou d’un travailleur suite à un accident ou une maladie du travail qui n’a ni famille, ni parent, ni conjoint n’aura à assumer que les frais de transport du corps et les frais funéraires jusqu’à un maximum de 4 913 $. Peut-on continuer à accepter une telle situation?

    En ce qui concerne les membres de la famille d’une travailleuse ou d’un travailleur décédé suite à une lésion professionnelle, la loi prévoit qu’ils ont droit à certaines indemnités. Il serait trop long d’examiner ici l’ensemble des indemnités de décès (transport du corps, frais funéraires, etc.); nous ne survolerons donc que les principales.

    La conjointe ou le conjoint a généralement droit :

    • •  à une indemnité forfaitaire pouvant varier, en 2013, entre 101 052 $ à 202 500 $ selon l'âge de la conjointe ou du conjoint au moment du décès de la victime, et;
    • •  à une indemnité temporaire (variant de 1 à 3 ans selon l'âge de la conjointe ou du conjoint au moment du décès) correspondant à 55% de l’indemnité de remplacement du revenu que la victime aurait pu toucher (habituellement, c'est 55% de 90% du salaire net).

    L’enfant mineur au moment du décès a droit à une indemnité mensuelle indexée de 507 $ jusqu’à sa majorité. S’il est aux études au moment de sa majorité, il a droit à une somme forfaitaire de 18 194 $ au moment où prend fin sa rente mensuelle. L’enfant majeur âgé de moins de 25 ans à la date du décès et qui est aux études a lui aussi droit à ce 18 194 $.

    Lorsque la victime n’a pas de conjoint, les enfants mineurs, les enfants majeurs aux études de moins de 25 ans et les enfants majeurs pour lesquels la victime pourvoyait à plus de la moitié des besoins ont le droit de se partager l’indemnité forfaitaire du conjoint (de 101 052 $ à 202 500 $).

    Bien que certaines personnes puissent trouver, à première vue, que ces montants sont importants, peut-on vraiment penser que ces indemnités de décès reflètent le dommage réel causé à la famille de la travailleuse ou du travailleur décédé? Pour sa famille, la vie d’une travailleuse ou d’un travailleur au Québec ne vaut-elle que 100 000 $, 200 000 $ ou 300 000 $? À titre d’illustration, le Ministère des transports du Québec estimait que la valeur moyenne d’une vie humaine au Québec en 2011 était de 3 234 381 $...

    De plus, suite à un décès causé par le travail, bon nombre de personnes vulnérables, qui étaient à la charge de la travailleuse ou du travailleur décédé, doivent s’adresser aux régimes publics afin de subvenir à leurs besoins parce que les indemnités prévues par le régime d’indemnisation sont insuffisantes. C’est une situation qui ne devrait pas exister.

    E. Le remplacement du revenu

    Le régime de réparation des lésions professionnelles prévoit le versement d’une indemnité afin de compenser la perte du revenu en cas d’incapacité de travail. Malheureusement, l'indemnisation est loin de remplacer intégralement la perte subie.

    1. Le calcul et le montant de l’indemnité

    La travailleuse ou le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu si la lésion le rend incapable d’exercer son emploi. Cette indemnité est généralement égale à 90% du revenu net prévu au contrat de travail et elle est incessible, insaisissable et non imposable.

    La travailleuse ou le travailleur subit donc automatiquement une pénalité d’au moins 10% de son revenu parce qu’il a eu la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Il est étonnant que cette pénalité subsiste encore aujourd’hui alors que la CSST était d’avis au début des années 1980 qu’elle n’était pas justifiée et recommandait une indemnité à 100%.*



    * « On instaure ici une indemnisation à 100% du revenu net. On cherche ainsi une réparation plus complète du préjudice subi par le travailleur en conformité avec l’objectif de l’article 2. Étant donné les avantages sociaux reliés à l’emploi que perd le travailleur qui reçoit des prestations, (selon certaines études cette perte pourrait aller jusqu’à 120% du revenu du travailleur) rien ne justifie une indemnisation partielle, même à 90% du revenu net comme le prévoient la Loi sur les accidents du travail »

    CSST

    Avant-projet de loi sur la réparation des lésions professionnelles, Commentaires
    CSST - 1981 - p. 30


    L’indemnité de remplacement du revenu ne peut être basée sur un revenu inférieur au salaire minimum en vigueur au moment de la lésion selon la semaine normale de travail (21 169 $ en 2013), ni sur un revenu supérieur au maximum assurable prévu par la loi (67 500 $ en 2013).

    Il est utile de souligner que même si la CSST tient compte, dans le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu, des impôts provincial et fédéral ainsi que des déductions pour l’assurance-chômage, l’assurance-parentale et le régime de rentes, elle ne verse aucune cotisation aux différentes caisses concernées. Il ne s’agit que d’un mode de calcul.

    Donc, malgré son nom, l’indemnité de remplacement du revenu ne remplace absolument pas le revenu perdu suite à une lésion professionnelle. Il s’agit d’une mesure de compensation pour la perte de capacité de gain de la victime, basée sur des règles de calcul d’application générale et non un remplacement effectif du revenu perdu.

    De nombreuses décisions, rappelant que l’indemnisation n’est que compensatoire, ont été rendues par les tribunaux dans des dossiers où les victimes voulaient obtenir un remplacement effectif de leur perte de revenu.

    Toutefois, depuis quelques années, la CSST et les tribunaux semblent oublier le caractère compensatoire de l’indemnité afin de ne remplacer que le salaire réellement gagné par la travailleuse ou le travailleur avant l’événement lorsque ce salaire est inférieur à la règle générale. Or, ce n’est pas parce que la travailleuse ou le travailleur occupait, par exemple, un emploi à temps partiel au moment de l’événement, que sa capacité de travail et de gain futur est limitée à du travail à temps partiel.

    Enfin, à cela s’est ajoutée depuis 2004 la mesure de « redressement d’impôt » qui a pour effet d’imposer indirectement ces indemnités qui sont pourtant non imposables. Par cette mesure, une victime de lésion professionnelle (ou sa conjointe ou son conjoint) peut se voir contrainte de payer jusqu’à 2 015 $, pour l’année d’imposition 2013, en impôt supplémentaire.

    Selon le gouvernement, cette mesure serait justifiée parce que les indemnités de la CSST, qui sont non-imposables, créeraient certaines distorsions fiscales dans quelques cas. Or, plutôt que de pénaliser tout le monde, le gouvernement aurait très bien pu fixer ces indemnités à 90% du revenu brut et qu’elles deviennent imposables. Mais agir ainsi aurait fait débourser aux employeurs des centaines de millions de dollars supplémentaires à chaque année. Plutôt que de faire payer les employeurs, qui sont les véritables bénéficiaires du fait que les indemnités soient calculées à partir du revenu net, on a décidé de pénaliser encore plus lourdement les victimes de lésions professionnelles…

    2. La durée et le versement de l’indemnité de remplacement du revenu

    En principe, l’indemnité de remplacement du revenu est versée jusqu’à la consolidation de la lésion professionnelle puisque la travailleuse ou le travailleur est présumé incapable d’exercer son emploi pendant cette période. Suite à la consolidation médicale, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu se poursuit tant que la travailleuse ou le travailleur a besoin de réadaptation pour redevenir capable d’exercer son emploi ou, si cela est impossible, pour devenir capable d’exercer un emploi convenable.

    Le droit à l’indemnité de remplacement du revenu s’éteint toutefois au premier des événements suivants :

    • •  dès que la travailleuse ou le travailleur redevient capable d’exercer son emploi. Toutefois, si la personne redevient capable d’exercer son emploi après l’expiration de son droit de retour au travail, l’indemnité de remplacement du revenu continue d’être versée pendant au plus un an;
    • •  à son décès;
    • •  à son soixante-huitième anniversaire de naissance.

    Une fois les limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle évaluées, la CSST doit décider si la travailleuse ou le travailleur est en mesure d’occuper son emploi. Si ce n’est pas le cas, elle tente d’identifier un emploi équivalent ou convenable chez l’employeur. S’il n’y en a aucun, ce qui est très souvent le cas dans les milieux non-syndiqués, la CSST détermine un emploi convenable (fictif) que la personne pourrait exercer ailleurs sur le marché du travail. Elle détermine aussi un salaire (fictif) que la travailleuse ou le travailleur pourrait tirer de cet emploi.

    Si l’emploi convenable déterminé n’est pas disponible, le versement de la pleine indemnité de remplacement du revenu (90% du revenu net) se poursuit jusqu’à ce que la personne l’occupe ou pendant au plus un an. Par la suite, l’indemnité est réduite du salaire net, non pas de celui effectivement gagné mais du salaire fictif rattaché à l’emploi convenable, que la travailleuse ou le travailleur occupe ou non cet emploi.

    Dans le cas où la CSST verse une indemnité de remplacement de revenu réduite, celle-ci est révisée périodiquement et ne peut être modifiée qu’à la baisse. Elle peut être versée jusqu’à 68 ans.

    L’objectif que visait le législateur par l’introduction de ce mécanisme, soit celui de remplacer la perte de revenu lorsque la lésion oblige la travailleuse ou le travailleur à occuper un emploi moins rémunérateur, n’est absolument pas atteint. La CSST s'en sert plutôt pour sortir du système les travailleuses et les travailleurs le plus rapidement possible afin de limiter les coûts.*



    * « Il faut savoir qu’à l’époque, [l]es rentes à vie ne pouvaient jamais être remises en question, peu importe les revenus ultérieurs et le comportement des travailleurs. Ainsi en 1985, le droit à l’autonomie des accidentés est disparu pour céder le pas au contrôle de la Commission de santé et sécurité du travail (CSST). Le régime en vigueur est alors devenu un régime « de maintien du revenu qui implique que chaque dollar réellement gagné ou fictivement susceptible de l’être par la personne accidentée, c’est autant d’indemnités que la CSST n’aura plus à payer. [De sorte qu'est apparu] un intérêt financier à sortir le plus rapidement possible les personnes accidentées du système »

    Me Jean-Pierre Néron

    Journal du Barreau- 15 octobre 2003 - p. 1


    Parce que la loi prévoit que la CSST n’a qu’à déterminer des emplois fictifs avec un salaire fictif, cette dernière n’est aucunement incitée à mettre en place des mesures appropriées pour réadapter réellement les travailleuses et les travailleurs puisque les coûts d’une telle réadaptation sont souvent supérieurs à ce qu’il lui en coûte en indemnités réduites.

    De plus, les salaires fictifs que détermine la CSST pour les emplois convenables n’ont aucune corrélation avec ce que peuvent gagner les travailleuses et les travailleurs sur le marché du travail compte tenu de leurs compétences, leurs capacités et leurs restrictions fonctionnelles. Rares sont les travailleuses et les travailleurs, lorsqu’ils réussissent à trouver et à occuper un emploi convenable, qui obtiennent un salaire équivalent au salaire déterminé par la CSST. Le salaire rattaché à l’emploi convenable semble plutôt être fixé en fonction du salaire pré-lésionnel de la travailleuse ou du travailleur que des salaires réels que l’on retrouve sur le marché du travail, le tout visant à réduire le plus possible l’indemnité à être versée.

    Un nombre important de victimes de lésions professionnelles, ayant une atteinte permanente à leur intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles, se retrouvent sans emploi et sans revenu décent. Cette situation s’explique par le fait que les droits des travailleuses et des travailleurs ne trouvent pas de corollaires en termes d’obligations pour leur employeur ou pour la CSST. Droit de retour au travail insuffisant, plan de réadaptation bidon sans aucune obligation de résultat, détermination d’emploi « convenable » qui n’offre aucune possibilité réelle d’embauche, font souvent en sorte que les travailleuses et les travailleurs se retrouvent à la rue.

    Plusieurs de ces travailleuses et travailleurs « réadaptés » par la CSST doivent recourir à l’aide sociale ou faire une demande de rente d’invalidité à la RRQ, suite à la détermination par la CSST d’un emploi convenable, parce qu’ils n’occupent pas cet emploi, et que l’indemnité reçue pour compenser leur perte de revenu ne représente souvent qu’un ou deux dollars par jour. Il s’agit clairement d’un transfert de coûts du patronat vers nos services publics.

    3. La sécurité sociale et les avantages sociaux

    Si les travailleuses et les travailleurs subissent de nombreuses pertes monétaires (telles la pénalité automatique de 10% de leur revenu) à la suite d’une lésion professionnelle, ils perdent aussi certains droits et bénéfices au niveau des régimes de sécurité sociale, tels l’assurance-chômage, l’assurance-parentale ou le régime de rentes puisque les cotisations à ces régimes, que la CSST calcule pourtant pour établir l’indemnité basée sur le revenu net, ne sont pas versées.

    Quant aux régimes privés, la travailleuse ou le travailleur ayant subi une lésion professionnelle a le droit de continuer à participer aux régimes de retraite et d’assurances offerts chez l’employeur et de profiter de la contribution de son employeur le cas échéant. Toutefois, ce droit n’existe que durant la période d’exercice du droit de retour au travail chez l’employeur, qui est de un an pour les établissements de vingt employés ou moins et deux ans pour les autres.

    Les pertes reliées aux régimes de sécurité sociale et d'avantages sociaux peuvent être très importantes puisqu'on évalue généralement qu'elles équivalent à 30% du revenu.*



    * « On estime que les avantages sociaux font augmenter en moyenne la rémunération de base des travailleurs du Québec de 30 %, soit 10 % en avantages sociaux obligatoires (excluant les cotisations à la CSST) et 20 % en avantages sociaux discrétionnaires »

    Martin Lebeau et coll.

    Les coûts des lésions professionnelles au Québec, 2005-2007
    IRSST - 2013 - p. 15


    La survenance d’une lésion professionnelle a un impact sur la rente de retraite versée par la RRQ puisque la victime ne cotise pas au régime pendant son arrêt de travail. Plus les périodes d’indemnité de remplacement du revenu versées par la CSST sont longues, comme lors du versement d’une indemnité réduite sur une période de 10, 25 ou 40 ans, plus la travailleuse ou le travailleur risque d’être pénalisé de façon importante à sa retraite.

    Dans le cas de l’assurance-chômage, le non versement des cotisations fait plutôt en sorte que bien souvent la travailleuse ou le travailleur perd carrément son droit à l’assurance; la personne ne peut donc en toucher les bénéfices si, par exemple, au moment où elle devient capable de retourner à son travail, l'entreprise a fermé ses portes.

    F. La réadaptation et le retour au travail

    Le droit à la réadaptation et le droit de retour au travail sont apparus lors de la réforme en 1985. Malheureusement, le législateur ne les a pas assortis d’obligations très contraignantes pour les employeurs et la CSST, faisant ainsi en sorte que l’exercice de ces droits ne donne souvent pas grand-chose pour celles et ceux qui en ont le plus besoin.

    1. 1. La réadaptation

    Le travailleur ou la travailleuse qui conserve des limitations fonctionnelles suite à une lésion professionnelle a droit à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

    La CSST doit, dans ces situations, établir un plan de réadaptation. Ce plan peut comprendre des mesures de réadaptation physique, sociale et professionnelle :

    • •  la réadaptation physique peut comprendre des soins médicaux ou infirmiers, des traitements de physiothérapie ou d’ergothérapie et des exercices d’adaptation à une prothèse ou à une orthèse;
    • •  la réadaptation sociale peut comprendre de l’intervention psychosociale, l’adaptation du domicile et du véhicule, le paiement de frais d’aide personnelle et de travaux d’entretien du domicile;
    • •  la réadaptation professionnelle peut comprendre un programme de recyclage ou de formation professionnelle, des services de support en recherche d’emploi, le paiement de subventions à l’employeur ou au travailleur, l’adaptation d’un poste de travail, le paiement de frais pour explorer un marché d’emploi ou pour déménager près d’un nouveau lieu de travail.

    Il est important de noter que la loi prévoit expressément que la CSST doit toujours retenir la « solution appropriée la plus économique » en matière de réadaptation. Dans la pratique, la CSST fait toujours prévaloir le mot « économique » sur le mot « appropriée ». Dans tous les plans de réadaptation, les conseillères et conseillers en réadaptation doivent élaborer divers scénarios chiffrés, incluant le coût de l’indemnité de remplacement du revenu, et on choisit généralement le moins cher, peu importe le contenu de ce plan. À titre d’exemple, on choisira une formation d’une durée de deux mois, donnée par une école privée à un coût de 5 000 $, non reconnue par le ministère de l’Éducation, plutôt qu’un cours d’une durée d’une année dans un CÉGEP donnant droit à une attestation d’étude collégiale parce qu’il est plus économique de verser une indemnité de remplacement du revenu pendant deux mois que pendant un an, même en payant plus cher la formation au privé.

    Le critère de la solution la plus économique fait également en sorte que la qualité des services de réadaptation dépend directement du coût que les travailleuses et les travailleurs représentent pour la CSST. En effet, plus une personne coûte cher (plus elle a une base salariale élevée et qu’elle est jeune), plus la Commission peut être disposée à « investir » des sommes qui lui permettront de réduire ses coûts futurs. Par exemple, si la CSST déterminait qu’un jeune de 25 ans, qui gagnait 65 000 $ par année au moment de son accident, peut occuper un emploi de préposé de guérite au salaire minimum, elle devrait lui verser une compensation salariale d’environ 22 000 $ par année pendant 40 ans (coût de 880 000 $). Évidemment, la CSST ne versera pas une telle somme puisque, dans un tel cas, elle va tout mettre en œuvre pour augmenter l'employabilité de cette personne afin de réduire les coûts au maximum. À l’inverse, une personne travaillant au salaire minimum n’aura droit à aucune véritable réadaptation professionnelle puisque la détermination de n’importe quel emploi convenable au salaire minimum mettra fin à son indemnité de remplacement du revenu.

    En matière de réadaptation professionnelle, la CSST n’a aucune obligation de résultat. Cela fait en sorte que les travailleuses et travailleurs n’ont pas accès à des mesures de réadaptation véritablement efficaces. Une infime minorité pourra avoir accès à des mesures de formation alors que la majorité n'aura droit qu'à des mesures de « soutien à la recherche d'emploi », type de mesures qui mène tout droit vers l'aide sociale pour des personnes qui ne sont plus compétitives sur le marché du travail. Certaines personnes pourront se trouver un emploi grâce à une subvention à l'embauche, mais elles seront congédiées dès la fin de la subvention car la CSST n'impose aucune véritable exigence aux employeurs. Malgré le fait que la CSST ait fait produire des études sur les résultats peu reluisants de ses services de réadaptation professionnelle et qu'elle connaisse le sort réservé aux travailleuses et aux travailleurs, elle maintient le cap dans cette direction depuis des décennies.



    * « Plus de la moitié (54 %) des travailleurs qui ont eu un processus de réintégration avec des mesures d'adaptation sont effectivement retournés au travail, soit en réintégrant un emploi chez leur employeur, mais surtout en occupant un emploi convenable ailleurs. La plupart de ces travailleurs ont été congédiés après quelques mois. [...]

    Tous les autres travailleurs (46%) ne sont pas retournés au travail depuis leur arrêt de travail pour lésion professionnelle.  Ils n'ont pu être relocalisés chez leur employeur et ils ont eu un processus de réorientation professionnelle. Ils ont été un an en démarche de recherche d'emploi sans avoir trouvé d'emploi au terme de cette période. A l'issue du processus, ils sont souvent des bénéficiaires de l'aide sociale ou de l'assurance-chômage. »

    Raymond Baril et coll.

    Étude exploratoire des processus de réinsertion sociale et professionnelle des travailleurs en réadaptation
    IRSST - 1994 - p. 283


    Selon le Service de la statistique de la CSST, un an après la fin des mesures de réadaptation professionnelle et la décision statuant sur la capacité d’exercer un emploi convenable, 79% des travailleuses et des travailleurs sont toujours sans emploi. Les trois quarts des travailleuses et des travailleurs « réadaptés » par la CSST se retrouvent donc dans la misère un an plus tard…

    Enfin, la CSST sous-traite beaucoup en matière de réadaptation avec des ressources en employabilité ou des conseillers en emploi, qui souvent ne sont pas membres d’un ordre professionnel, et qui exécutent la commande pour laquelle on les paie sans se préoccuper des besoins de la travailleuse ou du travailleur.

    1. 2. Le retour au travail

    La durée du droit de retour au travail prévue à la loi est d’une année dans les établissements où il y a 20 travailleuses et travailleurs et moins, et de deux ans dans les établissements où il y a plus de 20 travailleuses et travailleurs. Le délai commence à courir au début de la période d’absence continue.

    En vertu de ce droit, la personne qui redevient capable d’exercer son emploi pendant cette période a droit de réintégrer son emploi ou un emploi équivalent chez son employeur. Si elle ne redevient pas capable d’exercer son emploi, elle a droit, pendant cette même période, d’occuper le premier emploi convenable disponible chez son employeur.

    Dans les milieux non-syndiqués, le droit de retour au travail est habituellement utile pour les travailleuses et les travailleurs qui redeviennent capables d’exercer leur emploi. Pour celles et ceux qui restent incapables d'exercer leur emploi de façon permanente, ils ont un droit de retour mais l’employeur n’a aucune obligation de leur offrir un emploi convenable. Dans les faits, la grande majorité des travailleuses et travailleurs non-syndiqués perdent ainsi leur lien d’emploi.

    Cette limite d'un ou deux ans fait en sorte que plusieurs travailleuses et travailleurs grièvement blessés, qui doivent subir une longue période de traitement, perdent leur lien d’emploi du seul fait de l’écoulement du temps, et ce même s’ils pourraient occuper leur emploi après la consolidation médicale en adaptant leur poste de travail. C’est pourtant ces personnes qui ont le plus besoin de la protection de la loi.

    1. 3. L’assignation temporaire

    L’employeur de la victime d’une lésion professionnelle peut l’assigner à un travail temporaire, même si sa lésion n’est pas consolidée médicalement. Cette assignation temporaire a lieu si le médecin traitant de la travailleuse ou du travailleur détermine que :

    • •  la travailleuse ou le travailleur est raisonnablement en mesure d’accomplir le travail proposé;
    • •  ce travail ne comporte pas de danger pour la santé ou la sécurité de la travailleuse ou du travailleur compte tenu de sa lésion;
    • •  ce travail est favorable à la réadaptation de la travailleuse ou du travailleur.

    Selon la loi, lors d’une assignation temporaire, la travailleuse ou le travailleur a droit au salaire et aux avantages sociaux liés à l’emploi qu’il occupait lorsque la lésion s’est manifestée.

    Cette mesure est rarement utilisée dans une perspective réelle de réadaptation. Elle est plutôt utilisée pour éviter que des lésions dues au travail ne soient déclarées et ainsi prévenir une augmentation de la cotisation de l’employeur à la CSST. Bon nombre de ces assignations ne respectent pas la description de tâches fournie par l’employeur, plusieurs ne respectent pas les limitations fonctionnelles de la travailleuse ou du travailleur alors que d’autres ressemblent davantage à des punitions pour avoir subi une lésion professionnelle.

    On remarque aussi que certaines assignations temporaires ne respectent pas la condition physique des travailleuses et des travailleurs et provoquent des rechutes, des récidives et des aggravations, ou encore retardent indûment la consolidation de la lésion.

    Enfin, certains employeurs ont développé avec la complicité de la CSST de nouvelles pratiques d’assignation temporaire à temps partiel, appelées solutions provisoires de travail, où l’employeur ne paie que les heures réellement travaillées et la CSST comble la différence salariale, mais seulement jusqu’à concurrence de 90% du salaire. Dans les faits, la travailleuse ou le travailleur travaille donc à 90% de son salaire. Pourtant, même la CSST, à l'endos de son formulaire d’assignation temporaire, admet que les employeurs n’ont pas le droit d’agir ainsi : « La personne doit recevoir son plein salaire et les avantages liés à l’emploi qu’elle occupait au moment de la lésion même lorsque le travail qui lui est assigné temporairement est accompli à temps partiel ». (notre soulignement)

    Malgré le fait que la CSST sache manifestement que ces pratiques vont à l'encontre de la loi, elle les encourage et y participe.

    G. L’accès à la justice

    Afin de pouvoir bénéficier du régime de réparation, il faut être capable d’exercer ses droits et de les faire respecter. Or, trop souvent, à cause des mécanismes de règlement des litiges prévus à la loi et de leur fonctionnement, justice n’est pas rendue.

    La loi prévoit que toute personne qui se croit lésée peut contester une décision. L’actuel processus de contestation a été mis en place lors d’une réforme en 1998 et comprend principalement deux instances :

    • •  Généralement, on peut demander la révision d’une décision de la CSST à la Direction de la révision administrative (DRA) dans les 30 jours. À cette étape, c’est la CSST elle-même qui révise sa décision. Cette révision se fait sur dossier, sans audience, et le réviseur est lié par les politiques et directives de la CSST;
    • •  La décision révisée peut à son tour être contestée devant la Commission des lésions professionnelles (CLP) dans les 45 jours. La CLP est indépendante de la CSST et n’est donc pas liée par les directives et politiques de cette dernière. La décision rendue par la CLP est finale et sans appel.

    La réforme de 1998 (la loi 79), qui visait nous disait-on la « déjudiciarisation » du régime, a lamentablement échoué. Elle a plutôt engendré une culture de contestation généralisée qui a des impacts importants sur les travailleuses et les travailleurs.*



    * « Les conséquences de cette culture de la contestation sont bien sûr nombreuses sur les plans humain, social et économique. Notons simplement les répercussions possibles sur la santé physique et psychologique des travailleurs accidentés, comme dans les cas d’aggravation de la lésion en cours de processus, sur leur situation financière et sur la qualité des relations de travail »

    Commission de l’économie et du travail

    Examen du rapport d’évaluation du Bureau d’évaluation médicale...
    Assemblée nationale - 2006 - p. 8


    Alors qu’en 1997-1998, le nombre de contestations acheminées à la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (CALP), au Bureau de révision (BR) et au Bureau d’évaluation médicale (BÉM) avait atteint 45 421, ce nombre a presque doublé depuis.  En effet, les demandes à la Commission des lésions professionnelles (CLP), à la Direction de la révision administrative (DRA) et au BÉM ont atteint le chiffre de 89 908 en 2012-2013 (* voir tableau 2). Rappelons que ce doublement des contestations s’est fait dans un contexte où il y a eu une diminution importante du nombre de réclamations selon la CSST (de 155 348 en 1997 à 111 094 à 2012). Toute une « déjudiciarisation »…


    L'échan est trop petit pour voir ce tableau. Essayez en position paysage.

    * Tableau 2 : évolution des contestations depuis 15 ans

    Instance

    1997-1998

    2012-2013

    Différence

    Révision (BR ou DRA)

    28 733

    47 666

    +65,9%

    Appel (CALP ou CLP)

    7 903

    31 935

    +304,1%

    Médical (BÉM)

    8 785

    10 287

    +17,1%

    Total

    45 421

    89 908

    +97,9%



    Un tel flot de demandes de révision confirme d’abord qu’il y a un problème réel dans la prise de décision à la CSST. Mais le taux de transfert des dossiers de la Direction de la révision administrative de la CSST vers la Commission des lésions professionnelles démontre aussi qu’il existe de sérieux problèmes en révision : l’absence d’impartialité et d’indépendance. Le haut taux de contestation des décisions de la révision administrative s’explique facilement : elle n’a modifié que 2 072 des 43 628 décisions qu'elle a rendues en 2012, soit un taux de renversement de seulement 4,7%. Ce résultat n’est pas étonnant puisque le réviseur, étant lié par les politiques de la CSST, maintiendra nécessairement une décision de première instance si les politiques de la CSST ont été bien suivies et ce, même si elles contreviennent à la loi et à l’interprétation qu’en ont faite les tribunaux.

    La Commission des lésions professionnelles n’est pas à l’abri de critiques de la part des travailleuses et travailleurs. Bien que ce tribunal soit indépendant de la CSST, il relève, tout comme la CSST et le BÉM, du ministère du Travail, ce qui entache sérieusement son apparence de neutralité. Le fait que les commissaires de ce tribunal proviennent majoritairement de l’ancien bureau de révision de la CSST ou de son contentieux n’aide pas non plus à dissiper le doute.

    Devant ce tribunal, les parties qui s'affrontent disposent de moyens manifestement inégaux. En effet, les employeurs, leur mutuelle et la CSST ont les moyens de se payer les services d’avocats de même que de divers témoins-experts. Les travailleuses et les travailleurs sont, pour leur part, dans une situation très différente, particulièrement les non-syndiqués. Ils se trouvent confrontés à des démarches juridiques complexes et coûteuses pour lesquelles ils n’ont souvent aucune expérience et bien peu de moyens. De plus, aucun régime de remboursement de frais n’existe au Québec, pas plus qu'il n'existe de ressources publiques pouvant leur venir en aide (contrairement à ce qu’on retrouve dans toutes les provinces et territoires au Canada, sauf dans la très progressiste Alberta).

    Enfin, ce tribunal est doté d’un service de conciliation qui participe souvent au règlement des litiges à rabais. En 2012-2013, 52% des 32 197 dossiers que la CLP a fermés l’ont été suite à une activité de conciliation. Des 16 735 dossiers fermés en conciliation, seulement 4 545 ont fait l’objet d’un accord des parties entériné par un commissaire après une vérification de la conformité et du respect de la loi. Les 12 190 autres dossiers ont été fermés suite à un désistement attribuable à la conciliation, très souvent accompagné d’une transaction (entente privée signée entre les parties). Sur l’ensemble des transactions conclues (dont le nombre est inconnu), il faut noter qu’il y en a eu 6 205 en 2012-2013 qui ont été négociées par des conciliateurs de la CLP mais qui n’ont pas été soumises à un commissaire puisqu’elles ne respectent généralement pas la loi.

    Doit-on rappeler que ces pratiques se font dans le cadre d’une loi d’ordre public? La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est d’ordre public parce que, au-delà des intérêts privés des parties (incluant ceux de la CSST), il existe un intérêt public. Prenons l'exemple d'une travailleuse qui a signé une transaction avec son employeur et la CSST à l’effet qu’elle n’aurait pas subi d’accident du travail en échange d’une somme de 3 000 $; il n’y a pas que cette travailleuse qui doit assumer des coûts humains et financiers qui en découlent. En effet, la RAMQ assume le coût des examens et traitements médicaux, l’assurance-médicaments prend en charge le coût des médicaments, l’aide sociale, l’assurance-chômage ou la RRQ paie le remplacement du revenu dû à l’incapacité de travail, etc.

    Il est questionnant que des organismes publics comme la CSST et la CLP, chargés d’appliquer une loi d’ordre public, participent d’une quelconque façon à la négociation, à la rédaction et à la signature de transactions privées dans le cadre du processus de conciliation, transactions qui contournent trop souvent la loi. Or, il s’agit aujourd’hui d’une pratique systémique et institutionnalisée.